Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre en date du 21 juin 2004 enregistrée sous le numéro 04/0041 A par laquelle le ministre de l'économie a saisi le conseil d'une demande d'avis en application de l'article L. 410-2 du code de commerce ;
Vu la directive européenne n° 2003/55 du 26 juin 2003 concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel ;
Vu la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d'application ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 5 octobre 2004 ;
Les représentants de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) entendus sur le fondement de l'article L. 463-7 du code de commerce,
Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes :
1. Le projet de décret soumis à l'avis du conseil fixe les règles tarifaires pour l'utilisation des réseaux de distribution du gaz naturel et la valeur des tarifs individuels pour chaque distributeur.
2. Cette saisine intervient au titre du I de l'article 7 de la loi du 3 janvier 2003 qui prévoit que : « Les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 410-2 du code de commerce s'appliquent aux tarifs d'utilisation des réseaux de distribution (...). » Le conseil tient également à souligner que chacun des 23 exploitants de réseaux de distribution de gaz naturel concernés par le projet de décret (GDF-Distribution et 22 SEM ou régies municipales) est localement dans une situation de monopole visée par le deuxième paragraphe de l'article L. 410-2 du code de commerce : « Dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole (...), soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation du Conseil de la concurrence. »
3. Le conseil, consulté pour avis, n'est pas en mesure de porter un jugement sur les valeurs des différents tarifs présentés et considère que son intervention ne peut qu'être centrée sur l'aspect structurel du tarif, c'est-à-dire sur les règles employées pour le calculer.
4. La présente demande doit par ailleurs être rapprochée des avis précédemment rendus à propos de l'ouverture à la concurrence du marché du gaz naturel, concernant la séparation comptable des différentes activités des entreprises (avis n° 2003-A-16 du 5 septembre 2003) et les tarifs de transport (avis n° 2004-A-05 du 30 janvier 2004). Les commentaires formulés dans ce dernier avis gardent en particulier leur pertinence, les activités transport et distribution devant être analysées comme contribuant conjointement à mettre à la disposition de l'utilisateur, les quantités de gaz achetées.
I. - Les conditions générales demandées par les textes
pour les règles tarifaires en matière de distribution
5. La directive et la loi de 2003 imposent que les règles tarifaires soient rendues publiques, répondent à des critères objectifs et n'introduisent pas de discriminations entre les opérateurs et entre les utilisateurs.
6. Le caractère public des tarifs est assuré par leur adoption par voie de décret, précédé d'un avis du Conseil de la concurrence. Au plan formel, la fixation par décret de la valeur de chaque tarif apparaît inadaptée car elle introduit une rigidité inutile pour l'adaptation ultérieure des valeurs initialement fixées. La remarque faite sur ce point dans l'avis sur le tarif de transport peut être reprise : « Il paraît souhaitable, dans un souci de respect de la loi et de la hiérarchie des normes juridiques, d'établir clairement la distinction entre les règles définissant les éléments d'assiette nécessaire au calcul des tarifs et ayant une valeur pérenne, qui relèvent par nature du décret, et la fixation du montant des tarifs, susceptible d'être renvoyée à un acte réglementaire de rang inférieur. La directive européenne opère d'ailleurs la distinction entre les méthodes de calcul et les tarifs proprement dits. » (avis n° 2004-A-05 précité).
7. L'objectif de transparence justifie aussi de rappeler expressément que les offres groupées ou la tarification forfaitaire de l'ensemble fourniture du gaz et distribution sont contraires au jeu de la concurrence et interdites. Ce problème ne devrait pas se poser pour GDF, les différentes activités de l'entreprise étant organisées sous forme de sociétés distinctes ou devant l'être à l'avenir. Il pourrait, en revanche, concerner les régies, notamment celles qui ne disposent pas d'une comptabilité par activité permettant d'assurer un contrôle, même si le caractère limité de leur pouvoir de marché semble exclure l'exploitation de cette possibilité à leur avantage.
8. La structure tarifaire proposée doit être fondée sur des critères objectifs et communs aux différents distributeurs. Le critère retenu par la directive européenne est celui des coûts supportés par l'exploitant du réseau de distribution : « les autorités de régulation nationales devraient veiller à ce que les tarifs de transport et de distribution soient non discriminatoires et reflètent les coûts, et devraient tenir compte des coûts de réseau marginaux évités à long terme grâce aux mesures de gestion de la demande » (16e considérant de la directive).
9. L'article 2 du projet de décret énumère la nature des coûts à prendre en compte pour déterminer les tarifs applicables : « Les tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel sont calculés (...) à partir de l'analyse de l'ensemble de leurs coûts de distribution. Ces coûts comprennent : les charges d'exploitation (...), l'amortissement des investissements (...), les coûts de renforcement et de développement des réseaux publics de distribution, la rémunération du capital investi. »
10. Le total des coûts de distribution devant être couvert par la recette tarifaire globale est réparti entre les clients, selon une structure tarifaire identique pour les 23 distributeurs. Cette structure est fonction de la consommation annuelle du client selon 4 options, T1 à T4 (moins de 6 000 kWh, de 6 000 à 300 000 kWh, de 300 000 à 5 millions de kWh, plus de 5 millions de kWh).
11. Le tarif pour chaque option comporte un montant fixe (abonnement annuel) et une partie proportionnelle au volume consommé. Pour l'option T4, s'y ajoute la capacité journalière de distribution souscrite, exprimée en MWh/jour.
12. Le montant de chaque tarif est ensuite propre à chaque distributeur, étant la contrepartie des coûts supportés par cette entreprise pour rendre le service.
13. La mise en oeuvre de cette structure tarifaire repose sur la véracité et la fiabilité des comptes de l'activité de distribution. L'individualisation des coûts propres à cette activité vise à éviter que des charges extérieures à la distribution lui soient imputées lors du calcul des tarifs d'accès aux réseaux.
14. La directive européenne assimile les obligations des opérateurs gaziers en matière de séparation comptable à celles qu'aurait une véritable entreprise indépendante. Aussi le conseil considère-t-il que la qualité des comptes escomptés des distributeurs devrait satisfaire les règles posées à l'article L. 123-14 du code de commerce : « Les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise. »
15. Cet impératif de disposer d'une base de coûts précise et fiable souffre d'une rédaction de l'article 2 du projet de décret insuffisamment rigoureuse. Le texte se réfère en effet tantôt à la notion de charge (exploitation, amortissement, rémunération du capital), qui a une signification comptable opérationnelle, tantôt à celle de coût, qui n'en a pas. Ainsi les immobilisations existantes donnent lieu à des dotations d'amortissement, mais les nouveaux investissements à la prise en compte de « coûts de développement des réseaux », alors qu'il s'agit d'amortissements et de rémunération du capital investi (déjà prise en compte par ailleurs).
16. Faute de disposer de références comptables et tarifaires antérieures, en l'absence jusqu'à maintenant d'une facturation autonome de la distribution, le régulateur dépend des chiffres établis et communiqués par les distributeurs pour fixer les premiers tarifs de distribution.
17. Aussi, le conseil souligne-t-il le caractère déterminant, pour la réussite de la réforme engagée, d'une bonne connaissance par le régulateur chargé d'établir les tarifs d'utilisation des réseaux des comptes de l'activité de distribution. En conséquence, il est essentiel et urgent de réaliser les audits comptables des coûts présentés par les distributeurs.
18. L'insuffisance de l'information, aujourd'hui disponible, recommande de limiter à l'exercice en cours la durée de validité de ces premiers tarifs.
19. Des adaptations sont apportées aux règles tarifaires dans le but de tenir compte de la situation de la distribution existant en France avant l'ouverture du marché du gaz à la concurrence ; ce premier barème tarifaire répond à la volonté d'assurer une transition sans déstabiliser l'économie générale de l'activité de distribution.
20. Le décret prévoit une première dérogation pour les 13 distributeurs n'ayant pas de comptabilité dissociée par activité. Les modalités de calcul de leurs tarifs restent inchangées, mais tous ces opérateurs partagent un tarif unique, égal à la moyenne des tarifs pratiqués, antérieurement à la nouvelle législation par les 3 distributeurs les plus petits.
21. L'unicité de ce tarif, qui est supposé refléter les coûts, pose un problème au regard de la grande disparité de taille entre ces 13 entreprises : en 2002, la plus importante d'entre elles vendait 239 100 MWh de gaz et la plus petite 22 550 MWh. La solution pragmatique retenue encourt ainsi la critique d'aligner les prix pratiqués par ce groupe de distributeurs sur les moins performants d'entre eux, ce qui n'est propice ni à l'efficacité du service offert, ni au jeu de la concurrence.
22. Ces entreprises devant bénéficier d'un prix fixe garanti pour leurs services, un audit de leurs coûts réels mériterait d'être envisagé, la complexité des comptes correspondants étant faible au vu de la taille de ces entreprises.
23. De plus, le problème posé par l'absence d'une comptabilité séparée par activité pour les régies de petite taille pourrait trouver en partie sa réponse par un renforcement des obligations concernant la tenue d'un budget annexe pour les services publics industriels et commerciaux prévue au code général des collectivités territoriales, en demandant la tenue d'un budget distinct par activité (gaz, électricité, eau).
24. L'application des règles tarifaires conduit à des écarts de prix importants entre les entreprises concernées, le distributeur le plus cher (syndicat intercommunal de Saint-Louis et autres) ayant des tarifs 1,75 fois plus élevés que le moins cher (GDF). Ces écarts entre les entreprises reflètent les coûts inhérents à la desserte de populations et de territoires de taille différente.
25. Ce choix est avantageux pour les clients de GDF-Distribution qui bénéficient d'un tarif unique, alors que juridiquement l'activité est exercée dans environ 6 500 concessions avec des communes ou des ensembles de communes. Cette différence de traitement par rapport aux autres distributeurs n'admet toutefois pas d'alternative au vu de l'extrême complexité à établir un tarif propre à chaque concession. De ce fait, les clients de GDF profitent, en pratique, d'une péréquation tarifaire quasi nationale, puisque GDF assure 96 % de la distribution du gaz.
26. A l'inverse, la péréquation effectuée entre les clients propres à chacun des 22 autres distributeurs risque de manquer son objectif d'équité, surtout pour les plus petits d'entre eux, ce qui conduit à s'interroger sur la légitimité de son maintien en lieu et place d'une péréquation nationale totale.
27. Les règles tarifaires retenues font également l'objet d'une adaptation pour les entreprises installées à proximité d'un gazoduc longue distance et ayant une consommation annuelle de gaz très élevée (plus de 5 millions de kWh). Le prix de distribution facturé en application des règles générales aurait en effet incité ces clients à construire un raccordement direct au réseau de transport, avec pour corollaire la déstabilisation de l'économie du distributeur concerné à la suite de la perte de ce client prépondérant.
28. Ce constat a justifié la mise en place d'un « tarif de proximité » (T4), prévu chez les 23 distributeurs existants. Ce tarif tient compte de la distance entre le point de livraison et le réseau de transport le plus proche, à la place du volume consommé, pour la partie proportionnelle du tarif, et applique un barème propre pour les deux autres éléments constituant le tarif. Ces valeurs différentes permettent d'adapter la structure tarifaire tout en respectant le montant total de coûts à couvrir par le tarif.
29. Ce dernier dispositif illustre, sur un point particulier, ce qui constitue la faiblesse de la structure tarifaire proposée : le revenu des distributeurs apparaît garanti par les prix réglementés mis en place, quelles que soient par ailleurs l'efficience de la gestion de chaque opérateur et la pertinence économique de cette entreprise par rapport au marché auquel elle s'adresse. Ces modalités de réglementation des prix vont conduire à différer les regroupements ou la disparition des distributeurs marginaux, qui devraient normalement résulter de l'ouverture à la concurrence du marché du gaz.
II. - L'accès au client
30. Les textes instaurent un droit d'accès aux réseaux de distribution pour tout fournisseur de gaz afin de lui permettre de livrer ses clients. L'article 12 (2°) de la directive rappelle les obligations imposées aux distributeurs : « Le gestionnaire de réseau de distribution doit en tout état de cause s'abstenir de toute discrimination entre les utilisateurs du réseau, notamment en faveur de ses entreprises liées. »
31. Le changement de fournisseur de gaz par un client devrait être neutre en termes de capacités de transport et de distribution employées, le précédent fournisseur n'ayant pas d'intérêt à mobiliser des capacités devenues inutiles pour lui. Les difficultés pour un fournisseur de livrer son client pourraient survenir en cas de mauvaise volonté d'une entreprise intégrée ou de saturation du réseau de distribution existant.
32. Concernant l'accès au réseau de distribution, le problème devrait se poser et être traité par le régulateur lorsqu'il traite de l'accès au réseau de transport à longue distance.
33. Pour prévenir de tels litiges, la réelle indépendance de fonctionnement des activités transport et distribution ou des filiales dédiées pour les entreprises intégrées revêt une grande importance. Les remarques formulées par le conseil sur ce sujet lors de son avis sur les tarifs de transport restent ainsi applicables à la distribution : « Le réseau doit offrir des capacités de transport disponibles. Cela suppose un fonctionnement non discriminatoire des filiales transport des opérateurs historiques intégrés, afin qu'un changement de fournisseur s'accompagne sans restriction de la libération des capacités de transport correspondantes, et également, l'efficacité du mécanisme de capacités substituables pour libérer des capacités supplémentaires en cas de problème d'accès au réseau des nouveaux entrants. » (avis n° 2004-A-05).
34. L'éventuelle insuffisance des capacités de distribution disponibles pose la question des modalités de la décision d'investir et de prise en compte de ces investissements dans les tarifs accordés par les pouvoirs publics aux distributeurs.
35. Les enjeux représentés par un montant d'investissements adapté et leur sélection restent similaires à ceux évoqués pour le transport : « La politique d'investissement des transporteurs représente un enjeu pour l'accès aux clients et le développement du marché du gaz par rapport aux autres énergies. Une croissance forte de l'activité des nouveaux entrants sur le marché du gaz se heurtera à l'absence de capacités de transport disponibles, le réseau existant ayant été construit par les opérateurs historiques en fonction des volumes vendus afin d'éviter, en bonne gestion, les capacités oisives. En outre, il est constant que la gestion d'un réseau ouvert à de multiples concurrents peut exiger des marges de capacités disponibles plus élevées que dans une utilisation monopoliste. » (avis n° 2004-A-05).
36. A défaut de compétence juridique prévue par les textes pour contrôler la politique d'investissement des distributeurs ou au moins assurer son suivi, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) est amenée à effectuer leur régulation indirectement. Contrairement aux tarifs de transport, la CRE n'a pas prévu de sélectionner les investissements de capacité dans le réseau de distribution au moyen d'une rémunération majorée du capital correspondant. Ce choix est justifié par l'impact nettement moindre des contraintes de capacité existant en matière de distribution, ainsi que la crainte de favoriser des projets peu rentables par une rémunération accrue du capital. Pour les tarifs de distribution, le problème des investissements dans les réseaux est traité par une recommandation de la CRE aux opérateurs sur un critère de rentabilité minimale pour décider d'un investissement de capacité, et par un taux unique de rémunération du capital investi, immobilisations existantes ou investissements nouveaux (fixé à 7,75 % pour le projet de tarifs 2004).
37. Le critère de la rentabilité interne de chaque projet d'investissement paraît plus adapté aux besoins de GDF, qui, distribuant 96 % du gaz consommé en France, doit choisir chaque année entre de nombreux investissements, qu'à ceux des autres distributeurs pour lesquels le nombre des projets possibles est faible. De plus, dans le cas de GDF, opérateur présent sur l'ensemble des métiers du gaz, le problème de l'arbitrage éventuel entre des investissements de capacité nécessaires à l'activité du groupe et ceux demandés par de nouveaux opérateurs n'est pas abordé, ce qui suppose implicitement que l'indépendance de gestion de l'activité distribution demandée par la loi suffira à le résoudre.
38. Le recours à un taux de rémunération du capital fixé par voie réglementaire suscite par ailleurs des réserves.
39. Un taux administré unique apparaît inadapté pour répondre à la situation financière propre à chaque distributeur, d'autant plus que les 23 entreprises concernées sont de taille et de statut extrêmement différents.
40. Le choix d'un taux fixe dans le temps serait peu conciliable avec l'efficacité économique attendue de l'ouverture à la concurrence du marché du gaz si la validité des tarifs proposés devait dépasser une année, le capital investi dans la distribution bénéficiant d'une rémunération garantie à moyen terme déconnectée du coût réel des capitaux constaté sur les marchés financiers. L'emploi d'un taux de marché de référence serait préférable. Celui-ci pourrait, de plus, être modulé par l'ajout d'une marge positive ou négative, pour prendre en compte la très grande hétérogénéité des 23 distributeurs.
41. Réfléchir à une rémunération des investissements réalisés laissant une place plus importante à la responsabilité du gestionnaire et aux risques inhérents à une activité soumise au jeu de la concurrence apparaît, enfin, nécessaire. En ce sens, la prise en compte des nouveaux investissements dans le calcul des tarifs pourrait prendre la forme d'un amortissement dégressif pour ces immobilisations, au lieu de taux majorés pour les nouveaux investissements (comme dans le cas du transport) ou d'un taux unique de rémunération du capital investi dont la valeur est probablement tirée à la hausse pour intégrer les nouveaux investissements réalisés.
42. Les ressources de l'opérateur investissant seraient accrues sans s'éloigner de la réalité économique et financière propre à l'entreprise. Cette solution conduirait à augmenter les tarifs les premières années suivant la réalisation de l'investissement, ce qui n'est pas différent de l'actuelle prise en compte de la rémunération du capital investi, mais ce qui évite la fixation par voie administrative d'une rentabilité minimale garantie.
III. - Le remboursement aux distributeurs de l'intégralité
des coûts encourus
43. La mise en oeuvre par le projet de décret de la règle d'orientation des tarifs vers les coûts prévue au III de l'article 7 de la loi de 2003 appelle des commentaires sur les risques pour la concurrence inhérents à un mécanisme de remboursement de charges ainsi que sur la nécessité d'envisager rapidement un mode de détermination des tarifs incitant les distributeurs à l'efficacité.
44. La nouveauté des comptes séparés pour les opérateurs et la dépendance du régulateur vis-à-vis des informations communiquées par les entreprises font que pour ce premier exercice tarifaire le distributeur apparaît, en pratique, assuré d'obtenir le remboursement de la totalité de ses charges, dès lors qu'elles figurent aux comptes séparés de l'activité de distribution. Les distributeurs sont ainsi en mesure d'imposer leurs coûts et leurs choix de gestion aux utilisateurs des réseaux, dans la limite d'une vérification ultérieure de leur bien-fondé, lors des audits commandés par la CRE.
45. Il en résulte la possibilité d'un double risque pour la concurrence tenant, d'une part, à la création de situations de rente et, d'autre part, à la protection d'opérateurs historiques inefficaces en situation de monopole local.
46. Un dispositif tarifaire provoquant le remboursement automatiquement de l'intégralité de leurs coûts aux distributeurs comporte pour les entreprises intégrées un risque de distorsion des conditions de fonctionnement de leurs différents métiers. La rente ainsi tirée de la distribution sous monopole serait susceptible de permettre des pratiques de subventions croisées au profit des activités de négoce du gaz soumises à la concurrence.
47. L'absence de contrainte de résultat et d'amélioration des services des distributeurs en place conduirait par ailleurs à figer la carte du réseau de distribution et les services proposés par ces entreprises assurant leur pérennité quelle que soit la qualité de leur gestion.
48. Pour ces raisons, introduire une incitation financière pour améliorer le prix de vente et la qualité des prestations des distributeurs semble indispensable à bref délai. La méthode couramment employée par des gestionnaires d'infrastructures sous monopole et accessibles à tout opérateur consiste à effectuer des comparaisons de coûts et de prix entre les opérateurs, et à en déduire des objectifs annuels portant sur l'évolution globale des tarifs fixés par le régulateur (politique tarifaire dite de « price-cap »). Sa mise en place devient possible dès la validation des comptes séparés de l'activité de distribution par les audits actuellement entrepris à l'initiative de la CRE, en donnant une base de référence vérifiée pour les coûts. Ces objectifs d'évolution devraient, par ailleurs, être distincts entre GDF-distribution et les autres distributeurs, étant donné la taille et la situation de l'entreprise nationale, totalement différentes des autres opérateurs.
49. Un tel aménagement de la politique tarifaire serait compatible avec la règle prévue par les textes, une couverture par les tarifs des charges supportées par le distributeur, tout en étant plus conforme à leur finalité : établir un marché du gaz soumis au libre jeu de la concurrence.
Conclusion
50. Le conseil émet un avis favorable sur les règles tarifaires en matière de distribution présentées dans le projet de décret soumis à son avis. Cette appréciation générale appelle toutefois plusieurs recommandations dans le but d'améliorer le dispositif tarifaire, en conformité avec les objectifs fixés par la directive européenne et la loi :
- la sincérité des comptes de l'activité de distribution et leur bonne connaissance par le régulateur sont essentielles pour assurer, aux tarifs d'accès aux réseaux, le caractère objectif et non discriminatoire demandé par la loi. Le conseil ne verrait que des avantages à ce que la CRE fasse réaliser l'audit des comptes pour chacun des distributeurs, et à ce que, pour les régies non dotées d'une comptabilité séparée, il soit établi un budget annexe distinct pour l'activité gaz ;
- le présent tarif ne peut avoir qu'une durée de validité limitée, de l'ordre de l'exercice en cours, afin de pouvoir intégrer rapidement les conclusions issues des audits des comptes des distributeurs ;
- une fixation des tarifs à partir de l'ensemble des coûts engagés par le distributeur pour rendre le service doit avoir pour contrepartie une fiabilité et une véracité vérifiées des comptes correspondants. A défaut, la situation de rente créée comporterait pour la concurrence des risques possibles de subventions croisées entre activités pour les entreprises présentes sur les différents métiers gaziers, ainsi que la pérennisation de distributeurs localement en situation de monopole non soumis à une contrainte d'efficacité ;
- la régulation de l'investissement constitue un enjeu pour l'accès au marché des fournisseurs de gaz sans réseaux de distribution, ainsi que pour le développement de la part détenue par le gaz dans sa concurrence avec les autres énergies. L'impact des dépenses d'investissement sur les tarifs justifie un contrôle minimum par les pouvoirs publics, mais ne doit pas priver les industriels de leur responsabilité quant au choix des investissements et celui des modalités de leur financement ;
- ce constat plaide pour que le décret prévoie que les distributeurs informent la CRE de leurs projets d'investissement d'une certaine ampleur, et que leur prise en compte dans les tarifs n'intervienne pas sous forme d'un taux fixe et unique de rémunération du capital quelle que soit l'ancienneté des immobilisations, et de ce fait probablement orienté à la hausse ;
- un tarif unique basé sur les coûts présente d'évidentes limites. Ceci conduit à préconiser le passage à un mécanisme de fixation aux entreprises d'objectifs annuels d'évolution financière de leurs tarifs (« price-cap »). L'extrême disparité des 23 distributeurs concernés rend en outre souhaitable de différencier ces objectifs pour chacune des entreprises ou, à tout le moins, sur les plus importantes d'entre elles.
Délibéré, sur le rapport de M. Debrock, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mmes Mader-Saussaye et Pinot, MM. Bidaud, Honorat et Piot, membres.