Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Christine CHAUVET, Catherine EDWIGE, Ivan FAUCHEUX et Jean-Laurent LASTELLE, commissaires.
La loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite EGalim, a instauré le principe de droit à l'injection pour les producteurs de biogaz. Son article 94 a créé un nouvel article au sein du code de l'énergie (article L. 453-9) qui précise notamment que « [l]orsqu'une installation de production de biogaz est située à proximité d'un réseau de gaz naturel, les gestionnaires des réseaux de gaz naturel effectuent les renforcements nécessaires pour permettre l'injection dans le réseau du biogaz produit, dans les conditions et limites permettant de s'assurer de la pertinence technico-économique des investissements […] ».
Les modalités de mise en œuvre de cet article ont été précisées par le décret n° 2019-665 du 28 juin 2019 relatif aux renforcements des réseaux de transport et de distribution de gaz naturel nécessaires pour permettre l'injection du biogaz produit, et par l'arrêté du 28 juin 2019 (1) qui lui est associé.
Le décret susmentionné, dont les dispositions sont aujourd'hui codifiées aux articles D. 453-20 à D. 453-25 du code de l'énergie, a introduit trois dispositifs dont l'objectif est notamment le développement efficace de l'injection de biométhane dans les réseaux :
- un dispositif de zonage de raccordement des installations de production de biogaz à un réseau de gaz naturel ;
- pour les ouvrages de renforcement, un dispositif d'évaluation et de financement par les gestionnaires de réseau des coûts associés, dans la limite d'un ratio technico-économique Investissements / Volumes (« I/V ») ;
- pour les ouvrages mutualisés qui ne sont pas des renforcements, un dispositif de partage des coûts entre les producteurs d'une même zone.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a précisé, en novembre 2019, dans sa délibération n° 2019-242 (2), ci-après la « Délibération Biométhane », les modalités opérationnelles de mise en œuvre du droit à l'injection. Celui-ci s'articule autour de plusieurs étapes, dont notamment :
- l'établissement, conjointement par les différents gestionnaires de réseaux et après consultation des acteurs locaux, des zonages de raccordement qui définissent le mode de raccordement le plus pertinent pour la collectivité des futurs projets de chaque zone. Conformément au décret susmentionné, tout zonage doit être validé par la CRE. La Délibération Biométhane précise qu'il devient alors prescriptif : tout raccordement doit être conforme au zonage auquel il est rattaché ;
- la détermination, pour chaque nouveau projet faisant une demande d'étude en vue de son raccordement, de ses conditions d'injection :
- chiffrage des investissements de renforcement et de raccordement nécessaires, conformément au zonage de raccordement établi sur la zone ;
- précision de leurs modalités de financement, en tenant compte de l'éligibilité de la zone au financement par les gestionnaires de réseau des investissements de renforcement et/ou à la mutualisation avec d'autres projets des ouvrages de raccordement mutualisables ;
- validation par la CRE des investissements de renforcement puis déclenchement au moment opportun de ces investissements.
La mise en œuvre de ce dispositif, durant le premier semestre 2020, a fait apparaître un besoin de précisions concernant les modalités de prise en compte de participations des porteurs de projet d'installations de production de biogaz et/ou d'autres tiers dans le financement de programmes d'investissements de renforcement.
La CRE a ainsi procédé à une consultation publique du 22 juillet au 7 septembre 2020, afin notamment de présenter ses orientations concernant les modalités de prises en compte de ces participations de tiers.
19 contributions ont été adressées à la CRE. Les réponses non confidentielles sont publiées sur le site de la CRE en même temps que la présente délibération.
Compte tenu des besoins et contraintes spécifiques exprimés dans certaines réponses, la CRE a poursuivi ses travaux préparatoires au travers d'échanges avec plusieurs répondants. Rédigée à l'issue de ces travaux, la présente délibération a pour objet de préciser les modalités de prise en compte de participations de tiers dans le financement de programmes d'investissements de renforcement pour l'insertion du biométhane dans les réseaux de gaz naturel.
1. Compétences de la CRE
Compétences relatives aux missions des gestionnaires de réseau et aux conditions d'accès et d'utilisation du réseau
L'article L.134-2, du code de l'énergie donne compétence à la CRE pour fixer les règles concernant les « missions des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution de gaz naturel en matière […] de développement de ces réseaux », « les conditions de raccordement aux réseaux de transport et de distribution de gaz naturel » ainsi que les « conditions d'utilisation des réseaux de transport et de distribution de gaz naturel […], y compris la méthodologie d'établissement des tarifs d'utilisation de ces réseaux […] et les évolutions tarifaires […] ».
Compétences spécifiques relatives au droit à l'injection
L'article L. 453-9 du code de l'énergie prévoit que les gestionnaires de réseaux de gaz naturel effectuent les investissements nécessaires à l'injection des producteurs de biogaz, dont les coûts sont aujourd'hui portés par les tarifs d'utilisation de ces réseaux. Cette obligation est néanmoins soumise à des « conditions et limites permettant de s'assurer de la pertinence technico-économique des investissements » rendus nécessaires.
Dans ce cadre, les articles D. 453-23 et D. 453-24 du code de l'énergie prévoient que la CRE valide les programmes d'investissement établis par les gestionnaires de réseaux de transport (GRT) et les gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) concernés pour permettre le raccordement d'un projet d'installation de production de biogaz lorsque la capacité des réseaux est insuffisante pour permettre ce raccordement. La validation de ces investissements par la CRE est notamment soumise à la satisfaction d'un critère technico-économique, dit critère I/V, dont le plafond est prévu par l'arrêté du 28 juin 2019.
En particulier, l'article D. 453-24 du code de l'énergie prévoit que le porteur du projet d'installation de production de biogaz ou des tiers peuvent supporter une partie des coûts du renforcement, et ce, notamment afin de permettre la réalisation des investissements qui présenteraient un ratio technico-économique supérieur au plafond susmentionné.
2. Rappel des conditions de financement des investissements de renforcement pour l'insertion du biomethane dans les réseaux de gaz
Sur chaque zone concernée par le développement du biométhane, le zonage de raccordement permet notamment de définir le programme de renforcements le plus pertinent pour la collectivité. Les modalités de couverture financière des investissements le constituant ont été précisées par le décret du 28 juin 2019 : ce dernier prévoit que l'éligibilité de ces investissements à une mutualisation dans les tarifs d'utilisation des réseaux de transport et de distribution dépend de la valeur du ratio I/V (3) de la zone :
- dans les zones où le ratio I/V est inférieur au seuil d'éligibilité, fixé par arrêté à 4700 €/Nm3/h, les gestionnaires de réseaux prennent en charge les coûts liés à ces investissements ;
- dans les zones où le ratio I/V est supérieur à ce seuil d'éligibilité, le décret introduit, à l'article D. 453-24 du code de l'énergie, la possibilité de faire financer par le porteur du projet ou par des tiers une partie des coûts d'investissements de renforcement.
Cette dernière disposition peut permettre le développement de la filière biométhane y compris dans les zones où la configuration géographique et la capacité d'accueil des réseaux existants sont moins favorables.
Ainsi, l'article D. 453-24 du code de l'énergie dispose que « le gestionnaire du réseau peut soumettre pour validation à la Commission de régulation de l'énergie un programme d'investissement pour un projet de renforcement présentant un ratio technico-économique supérieur au plafond si le porteur du projet d'installation de production de biogaz ou des tiers supportent une partie des coûts du renforcement et que le ratio technico-économique modifié, défini comme le quotient des montants d'investissements du projet de renforcement diminués de la part supportée par le porteur de projet ou des tiers par la somme des capacités de production de biogaz des projets d'installations qu'il permettrait de raccorder, et, le cas échéant, du potentiel de méthanisation sur une zone géographique adéquate qu'il permettrait de raccorder, pondérés par la probabilité de leur réalisation, est inférieur au plafond. ».
Dans la présente délibération, le terme de tiers désigne tout acteur autre que les opérateurs de réseaux. Il peut s'agir, notamment, de collectivités territoriales (communes ou régions par exemple) ou d'un ou plusieurs porteurs de projet.
3. Modalités de prise en compte de participations de tiers dans le financement de programmes d'investissements de renforcement
Comme rappelé précédemment, dans les zones où les conditions technico-économiques de raccordement sont les moins favorables, un financement par un ou plusieurs tiers est une condition pour que la CRE valide la réalisation des ouvrages de renforcement.
Les premiers zonages soumis à la validation de la CRE ayant fait apparaître des besoins de participations de tiers, la CRE a consulté les acteurs à l'été 2020 sur les modalités opérationnelles envisagées afin d'encadrer ce recours à des tiers financeurs. Le dispositif proposé par la CRE permettait de répondre à un double objectif : d'une part, partager les risques sur ces zones entre les porteurs de projet et la communauté des utilisateurs, et, d'autre part, préserver le principe de donner une visibilité financière aux porteurs de projets sur les coûts à leur charge, dès le jalon D2. Cette visibilité est en effet essentielle au bon développement de la filière.
Les répondants à la consultation publique se sont déclarés majoritairement favorables au mécanisme envisagé par la CRE, saluant un dispositif qui reste dans l'ensemble favorable au développement du biométhane, tout en faisant porter une part de responsabilité aux tiers dans ces zones moins favorables.
Toutefois, les modalités présentées par la CRE dans sa consultation publique visaient à traiter la prise en compte de participations de tiers uniquement pour des zones dont le schéma de renforcement présentait un rebours devant être réalisé avant tout autre ouvrage. A la lumière des contributions reçues des acteurs de la filière ainsi que des zonages reçus des opérateurs depuis lors, la CRE note que le recours à une participation de tiers pourrait également s'avérer nécessaire dans le cadre de séquences d'investissements plus complexes, mêlant la réalisation de maillages et de rebours sur les zones concernées. En conséquence, tout en en conservant l'esprit initial, la CRE a adapté le dispositif proposé.
Les modalités retenues et décrites ci-dessous sont ainsi applicables à l'ensemble des configurations de renforcement de réseau, quels que soient la nature des ouvrages de renforcement et le séquencement de leur réalisation.
Le dispositif de participation de tiers retenu par la CRE est le suivant :
Communication de la participation de tiers requise :
La participation de tiers nécessaire pour décider du lancement des investissements de renforcement est calculée à l'échelle d'un zonage et est collective à l'ensemble des tiers financeurs de cette même zone. Son montant est déterminé en fonction des conditions technico-économiques du zonage en vigueur.
La CRE demande aux gestionnaires de réseaux de mettre à jour cette participation de tiers dans le cadre de la révision périodique des conditions technico-économiques de chacun des zonages, soit tous les deux ans a minima et après une consultation des acteurs locaux. Pour chaque zonage, le montant de participation de tiers nécessaire est rendu public sur le site des gestionnaires de réseaux et communiqué aux porteurs de projet lors de la remise de leur étude détaillée.
Par ailleurs, entre chaque révision périodique des zonages, cette participation peut être mise à jour, uniquement à la baisse, au moment de la validation de chaque investissement de renforcement sur la zone : la CRE demande aux gestionnaires de réseaux, au moment de la validation de chaque investissement, de recalculer le I/V en fonction des dernières informations connues. Si ce ratio est plus favorable qu'anticipé initialement, la participation de tiers est alors revue à la baisse. Dans le cas contraire, afin de ne pas remettre en cause les données transmises aux porteurs de projets lors du jalon D2 et de leur apporter une visibilité suffisante, la participation de tiers nécessaire est maintenue au niveau calculé lors de la définition du zonage.
Montant des participations de tiers :
La participation de tiers vient réduire le coût de l'ensemble des investissements prévus dans le zonage de raccordement. Elle est calculée de manière à réduire le ratio technico-économique afin qu'il soit compatible avec la limite de 4 700 €/Nm3/h prévue par le décret du 28 juin 2019.
Pour permettre la validation par la CRE du premier investissement de renforcement, tout ou partie de la participation de tiers est dû. Cela correspond :
- pour les investissements de renforcement de réseau en distribution et ceux du réseau de transport autres que ceux relatifs à un rebours, au plus petit des deux montants suivants :
- la participation de tiers en vigueur pour la zone ;
- le coût total du renforcement considéré ;
- pour les investissements relatifs à un rebours et l'étude afférente, la participation est due en deux temps :
- au lancement de l'étude, le montant est égal au coût forfaitaire de l'étude, fixé à 200 000 € ;
- au moment de la validation par la CRE de la réalisation du rebours, le montant correspond à la participation de tiers en vigueur pour la zone telle qu'elle était au moment du lancement de l'étude, déduction faite des 200 000 € (avec la possibilité d'un remboursement partiel dans le cas où la participation est inférieure à 200 000 €).
Pour permettre la validation par la CRE d'un investissement de renforcement ultérieur, une participation de tiers complémentaire peut être nécessaire si les participations antérieurement versées n'atteignent pas la participation de tiers en vigueur pour la zone au moment de cet investissement (ou étude pour les rebours). Les règles sont identiques au premier investissement de renforcement mais les participations déjà versées sont déduites des montants pris en compte.
Echéancier de paiement des participations de tiers
Concernant le rythme de collecte des participations de tiers, la CRE avait proposé que la réalisation des investissements ne soit lancée qu'à réception par les opérateurs de la totalité des sommes dues par les tiers. Dans leurs réponses à la consultation publique, certains acteurs ont souligné un risque d'impossibilité de mobiliser ces sommes dans la temporalité indiquée. Pour répondre à cette contrainte, la CRE retient le dispositif suivant :
- pour les tiers privés : fourniture de lettres d'engagement en amont de la validation de l'ouvrage par la CRE, puis versement d'un acompte d'au moins 50 % avant la réalisation de l'investissement, versement du solde une fois l'investissement réalisé ;
- pour les tiers publics : selon le même séquencement que les tiers privés sauf si des contraintes législatives ou réglementaires empêchent le versement de l'acompte : dans ce cas, tout est payé une fois l'investissement réalisé.
Exemple de déroulé
- à la validation d'un zonage avec un ratio I/V supérieur à 4 700 €/Nm3/h, les gestionnaires de réseau déterminent la participation de tiers en vigueur pour la zone, valable jusqu'à la mise à jour suivante et au maximum 2 ans ;
- pendant cette période, préalablement à la validation d'un investissement de renforcement :
- les gestionnaires de réseau recalculent le ratio I/V et la participation de tiers correspondante selon les modalités décrites ci-dessus. La participation de tiers demandée alors peut uniquement être ajustée à la baisse ;
- les gestionnaires de réseaux collectent les lettres d'engagement auprès de tiers à hauteur du montant tel que décrit ci-avant ;
- après réception par l'opérateur concerné des acomptes, lancement de l'investissement (ou de l'étude) ;
- après réalisation de l'investissement, versement par les tiers du solde de la participation.
Décision
En application des articles D. 453-23 et D. 453-24 du code de l'énergie, les gestionnaires de réseaux établissent un programme d'investissements de renforcement du réseau en vue de permettre l'augmentation des capacités d'accueil de biométhane qu'ils soumettent à la validation de la CRE.
Par ailleurs, l'article L. 134-2 du code de l'énergie précise que la CRE est compétente pour préciser, dans le respect des dispositions législatives et réglementaires, par décision publiée au Journal officiel, (i) les règles relatives aux missions des gestionnaires de réseaux en matière d'exploitation et de développement de ces réseaux et (ii) les règles concernant les conditions de raccordement aux réseaux de transport et de distribution de gaz naturel.
La présente délibération complète le dispositif décrit dans la Délibération Biométhane pour préciser les modalités selon lesquelles des tiers, notamment des collectivités locales et porteurs de projet, peuvent apporter des participations financières et ainsi contribuer à permettre le développement du biométhane dans les zones présentant des configurations moins favorables. Les modalités détaillées relatives à la prise en compte de ces participations de tiers dans le financement de programmes d'investissements de renforcement pour l'insertion du biométhane dans les réseaux de gaz naturel, de distribution et de transport, telles que prévues par le D. 453-24 du code de l'énergie, sont décrites en partie 2 de la présente délibération.
La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française et sur le site de la CRE. Elle sera transmise à la ministre de la transition écologique, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.