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Abandon de la traduction en français des brevets européens

Question orale sans débat de M. Bernard Fournier - Coopération

Question de M. Bernard Fournier,

Diffusée le 2 octobre 2000

M. Bernard Fournier appelle l'attention de M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie sur l'abandon de la traduction en français des brevets européens. Le Gouvernement a accepté le principe d'un renoncement à l'obligation de cette traduction. Cette intention marque un retour un arrière par rapport à la position initiale exprimée par la France et qui était basée sur un compromis consistant à limiter l'obligation de traduction pour la seule partie signifiante.

Si officiellement les déposants pourront choisir entre trois options : anglais, allemand et français, il est à redouter que le " tout anglais " prévale en l'absence de mesures contraignantes. L'académie des sciences morales et politiques a manifesté son désaccord sur le projet gouvernemental. Pour sa part, il attire l'attention du Gouvernement sur la contradiction que le revirement de position de l'exécution entraîne avec la Constitution, notamment son article 2 qui stipule que " la langue de la République est le français ".

La langue française est sans cesse menacée par l'extension de l'anglais. Le monde industriel et commercial sont des secteurs sensibles où tout recul de la francophonie peut préfigurer d'autres évolutions. Aussi il le remercie de bien vouloir lui indiquer si le Gouvernement entend, in fine, développer une politique offensive de maintien de l'obligation de traduction dans les différents secteurs, ou s'il préfère capituler devant une nouvelle forme de domination linguistique.

Réponse - Coopération

Diffusée le 24 octobre 2000

M. le président. La parole est à M. Fournier, auteur de la question n° 873, adressée à M. le

ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

M. Bernard Fournier. Ma question, qui s'adresse à M. le ministre délégué à la coopération et

à la francophonie, est relative à l'éventuel abandon de la traduction en français des brevets

européens.

En effet, monsieur le ministre, il semblerait qu'un temps le Gouvernement ait pu accepter le

principe d'un renoncement à cette obligation de traduction. Les dernières indications qui ont été

portées à ma connaissance font état d'une phase de réflexion, et, bien sûr, je m'en félicite.

Sur le fond, sans mettre en cause les impératifs économiques liés à la nécessaire baisse du

coût des brevets, d'une part, et à la lutte contre la contrefaçon, d'autre part - cette lutte passe

impérativement par l'unification du système de dépôt des brevets à l'échelon européen - cette

intention marquerait, à mon sens, symboliquement un retour en arrière par rapport à la position

initiale exprimée par la France, et ce depuis longtemps. Cette position initiale était fondée sur

un compromis consistant à limiter l'obligation de traduction pour la seule partie significative, ce

qui restait acceptable et réaliste.

Si, officiellement, les déposants pourront choisir entre trois langues de dépôt - le français,

l'allemand et l'anglais - il est à craindre que le « tout-anglais » ne domine largement en

l'absence de mesures contraignantes.

L'Académie des sciences morales et politiques a manifesté clairement son désaccord sur la

mouture du projet du Gouvernement, dont je faisais état à l'instant.

Je tiens donc à pointer le doigt sur la contradiction entre la Constitution, notamment son article

2 qui stipule que « la langue de la République est le français », et le revirement de position

envisagé.

Par-delà le problème des brevets, qui reste symbolique, certes, on observe plus largement que

la langue française demeure menacée par l'extension de l'anglais.

Le monde industriel et commercial est un secteur sensible où tout recul de la francophonie

laisse redouter des évolutions négatives.

Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de bien vouloir m'indiquer si le Gouvernement

entend in fine développer une politique offensive de maintien de la langue française et de la

traduction dans les secteurs stratégiques, ou s'il préfère s'incliner devant une forme de

domination linguistique.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Je veux d'abord

vous dire, monsieur le sénateur, que je partage votre souci de voir protéger la traduction en

français des brevets européens, et je puis vous assurer que j'ai personnellement veillé, tout au

long de la négocation en cours, à la défense de la langue de la République.

Cette négociation procède de la volonté des Etats parties à la convention de Munich du 5

octobre 1973, aujourd'hui au nombre de dix-neuf, de réduire les frais de brevet, afin de les

rapprocher du coût, sensiblement moindre, des instruments homologues japonais ou

américains. C'est précisément la France qui a lancé, en juin 1999, un processus de réforme du

brevet européen, par le biais d'une conférence intergouvernementale. Ce processus impliquait

notamment une réduction des coûts liés aux traductions. C'est là que la difficulté que vous avez

mise en évidence, monsieur le sénateur, est bien sûr apparue.

Le projet d'accord - facultatif pour les Etats, et j'insiste sur ce point - engagerait les signataires

à ne plus exiger du titulaire la traduction intégrale des brevets dans leur langue nationale. Si la

France l'appliquait, au-delà de l'exigence d'une traduction des « revendications », comme on dit

dans le jargon, inscrite dans l'accord, elle maintiendrait le français en faisant effectuer les

traductions du reste des brevets - les « descriptions » ; c'est cette partie qui est en quelque

sorte menacée - sous maîtrise d'ouvrage de l'Institut national de la propriété industrielle. Cela

est entendu, et je veux, à cet égard, vous donner toutes assurances.

Les dix-neufs Etats membres de l'Organisation européenne des brevets se sont réunis à

Londres le 16 octobre dernier, et huit ont d'ores et déjà signé l'accord : l'Allemagne, le

Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse, Monaco et le Liechtenstein.

En France, des interrogations ont été soulevées, y compris par les parlementaires et vous en

offrez aujourd'hui, monsieur le sénateur, une nouvelle preuve. Le Gouvernement les a

entendues, qui a annoncé que la France ne pouvait, à ce jour, en l'état, signer l'accord.

L'objectif du Gouvernement est bien de concilier la défense de la langue française comme

langue technique avec l'intérêt des entreprises innovantes et des organismes de recherche qui

commande que le brevet soit accessible au meilleur coût.

Un tel accord ne peut être signé que si sa compatibilité avec la Constitution est claire et s'il

assure à la langue française un traitement équitable par rapport aux autres langues officielles de

l'Office européen des brevets. Même si le Conseil d'Etat, saisi pour avis par le Premier ministre,

a estimé que le projet d'accord n'est pas, en lui-même, contraire à l'article 2 de la Constitution

qui stipule que la langue de la République est le français, le Gouvernement entend poursuivre le

débat sur cette question des traductions de brevets européens. Les consultations en France

seront poursuivies. Les parties intéressées y seront associées. Ce n'est qu'à l'issue de ce

débat que le Gouvernement décidera de son attitude à l'égard de l'accord.

Monsieur le sénateur, face à un environnement international où la menace d'une monoculture,

voire d'une seule langue, doit être prise en considération, je veux vous dire qu'il n'y a aucune

capitulation devant quelque forme de domination linguistique que ce soit. La démarche du

Gouvernement est volontaire et réfléchie. Elle peut d'ailleurs s'honorer d'un certain nombre de

résultats, qui ne sont pas suffisamment connus. En effet, si, dans certains pays, l'anglais

progresse, dans beaucoup d'autres la demande de français augmente. Nous essayons d'y

répondre au mieux.

En tout cas, nous sommes soucieux de promouvoir une économie forte et innovante. Encore

faut-il qu'elle s'exprime dans la langue de la République.

M. Bernard Fournier. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Fournier.

M. Bernard Fournier. Je remercie M. le ministre de ces précisions et des assurances qu'il m'a

données.

Je suis assez satisfait. J'ai l'impression que le Gouvernement a entendu la sonnette d'alarme

que nous tirons depuis un certain nombre de mois. Je lui indique simplement que nous serons

très vigilants. J'ai l'impression que nous agissons dans la même direction et je m'en félicite.

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