M. le président. La parole est à M. Fournier, auteur de la question n° 873, adressée à M. le
ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
M. Bernard Fournier. Ma question, qui s'adresse à M. le ministre délégué à la coopération et
à la francophonie, est relative à l'éventuel abandon de la traduction en français des brevets
européens.
En effet, monsieur le ministre, il semblerait qu'un temps le Gouvernement ait pu accepter le
principe d'un renoncement à cette obligation de traduction. Les dernières indications qui ont été
portées à ma connaissance font état d'une phase de réflexion, et, bien sûr, je m'en félicite.
Sur le fond, sans mettre en cause les impératifs économiques liés à la nécessaire baisse du
coût des brevets, d'une part, et à la lutte contre la contrefaçon, d'autre part - cette lutte passe
impérativement par l'unification du système de dépôt des brevets à l'échelon européen - cette
intention marquerait, à mon sens, symboliquement un retour en arrière par rapport à la position
initiale exprimée par la France, et ce depuis longtemps. Cette position initiale était fondée sur
un compromis consistant à limiter l'obligation de traduction pour la seule partie significative, ce
qui restait acceptable et réaliste.
Si, officiellement, les déposants pourront choisir entre trois langues de dépôt - le français,
l'allemand et l'anglais - il est à craindre que le « tout-anglais » ne domine largement en
l'absence de mesures contraignantes.
L'Académie des sciences morales et politiques a manifesté clairement son désaccord sur la
mouture du projet du Gouvernement, dont je faisais état à l'instant.
Je tiens donc à pointer le doigt sur la contradiction entre la Constitution, notamment son article
2 qui stipule que « la langue de la République est le français », et le revirement de position
envisagé.
Par-delà le problème des brevets, qui reste symbolique, certes, on observe plus largement que
la langue française demeure menacée par l'extension de l'anglais.
Le monde industriel et commercial est un secteur sensible où tout recul de la francophonie
laisse redouter des évolutions négatives.
Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de bien vouloir m'indiquer si le Gouvernement
entend in fine développer une politique offensive de maintien de la langue française et de la
traduction dans les secteurs stratégiques, ou s'il préfère s'incliner devant une forme de
domination linguistique.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Je veux d'abord
vous dire, monsieur le sénateur, que je partage votre souci de voir protéger la traduction en
français des brevets européens, et je puis vous assurer que j'ai personnellement veillé, tout au
long de la négocation en cours, à la défense de la langue de la République.
Cette négociation procède de la volonté des Etats parties à la convention de Munich du 5
octobre 1973, aujourd'hui au nombre de dix-neuf, de réduire les frais de brevet, afin de les
rapprocher du coût, sensiblement moindre, des instruments homologues japonais ou
américains. C'est précisément la France qui a lancé, en juin 1999, un processus de réforme du
brevet européen, par le biais d'une conférence intergouvernementale. Ce processus impliquait
notamment une réduction des coûts liés aux traductions. C'est là que la difficulté que vous avez
mise en évidence, monsieur le sénateur, est bien sûr apparue.
Le projet d'accord - facultatif pour les Etats, et j'insiste sur ce point - engagerait les signataires
à ne plus exiger du titulaire la traduction intégrale des brevets dans leur langue nationale. Si la
France l'appliquait, au-delà de l'exigence d'une traduction des « revendications », comme on dit
dans le jargon, inscrite dans l'accord, elle maintiendrait le français en faisant effectuer les
traductions du reste des brevets - les « descriptions » ; c'est cette partie qui est en quelque
sorte menacée - sous maîtrise d'ouvrage de l'Institut national de la propriété industrielle. Cela
est entendu, et je veux, à cet égard, vous donner toutes assurances.
Les dix-neufs Etats membres de l'Organisation européenne des brevets se sont réunis à
Londres le 16 octobre dernier, et huit ont d'ores et déjà signé l'accord : l'Allemagne, le
Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse, Monaco et le Liechtenstein.
En France, des interrogations ont été soulevées, y compris par les parlementaires et vous en
offrez aujourd'hui, monsieur le sénateur, une nouvelle preuve. Le Gouvernement les a
entendues, qui a annoncé que la France ne pouvait, à ce jour, en l'état, signer l'accord.
L'objectif du Gouvernement est bien de concilier la défense de la langue française comme
langue technique avec l'intérêt des entreprises innovantes et des organismes de recherche qui
commande que le brevet soit accessible au meilleur coût.
Un tel accord ne peut être signé que si sa compatibilité avec la Constitution est claire et s'il
assure à la langue française un traitement équitable par rapport aux autres langues officielles de
l'Office européen des brevets. Même si le Conseil d'Etat, saisi pour avis par le Premier ministre,
a estimé que le projet d'accord n'est pas, en lui-même, contraire à l'article 2 de la Constitution
qui stipule que la langue de la République est le français, le Gouvernement entend poursuivre le
débat sur cette question des traductions de brevets européens. Les consultations en France
seront poursuivies. Les parties intéressées y seront associées. Ce n'est qu'à l'issue de ce
débat que le Gouvernement décidera de son attitude à l'égard de l'accord.
Monsieur le sénateur, face à un environnement international où la menace d'une monoculture,
voire d'une seule langue, doit être prise en considération, je veux vous dire qu'il n'y a aucune
capitulation devant quelque forme de domination linguistique que ce soit. La démarche du
Gouvernement est volontaire et réfléchie. Elle peut d'ailleurs s'honorer d'un certain nombre de
résultats, qui ne sont pas suffisamment connus. En effet, si, dans certains pays, l'anglais
progresse, dans beaucoup d'autres la demande de français augmente. Nous essayons d'y
répondre au mieux.
En tout cas, nous sommes soucieux de promouvoir une économie forte et innovante. Encore
faut-il qu'elle s'exprime dans la langue de la République.
M. Bernard Fournier. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Je remercie M. le ministre de ces précisions et des assurances qu'il m'a
données.
Je suis assez satisfait. J'ai l'impression que le Gouvernement a entendu la sonnette d'alarme
que nous tirons depuis un certain nombre de mois. Je lui indique simplement que nous serons
très vigilants. J'ai l'impression que nous agissons dans la même direction et je m'en félicite.