APPROVISIONNEMENT EN MÉDICAMENTS
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot. Monsieur le Premier ministre, « dans mon hôpital, nous avons trois jours de stock d'anesthésiques. On doit choisir les patients admis dans notre service, en fonction de leur probabilité de s'en sortir. Mais si on en venait à ne plus soigner ou à mal soigner ceux qui peuvent s'en sortir, ce serait vraiment terrible ».
Voici la souffrance insupportable des soignants. Ils manquent de tout : de masques, de lits, de personnels, de respirateurs, de tests et maintenant de médicaments. Ils manquent de curares, indispensables pour relaxer les muscles lors d'intubation de patients ; de sédatifs pour les personnes en réanimation ; de morphine ; d'antibiotiques.
Une catastrophe dans la catastrophe. Le manque de médicaments, c'est l'impossibilité de mettre sous respirateur toutes les personnes qui devraient l’être. Ce sont des gens qui vont mourir d'étouffement à cause de douleurs alors qu'on aurait pu les sauver. On ne parle pas de semaines pour une rupture totale de certains de ces médicaments, mais de jours. Vous demandez déjà aux hospitaliers de limiter l’usage de la morphine. La pénurie est déjà là.
Vous avez été alerté la semaine dernière par le président de la commission médicale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l'AP-HP, comme par l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament. Sans réponse.
Votre gestion de crise, monsieur le Premier ministre, c'est une gestion de la pénurie. Lors de votre conférence de presse, vous avez affirmé : « Dès que nous aurons le sentiment que la réquisition est nécessaire, il sera procédé à des réquisitions. » N'avez-vous toujours pas le sentiment de l'urgence ? Nous avons en France le savoir-faire.
Qu'attendez-vous pour réquisitionner les moyens de production pour fournir ces médicaments indispensables ? Qu'attendez-vous pour nationaliser Luxfer, dernière usine en Europe à produire des bouteilles d'oxygène médical, ou Famar, qui fabrique douze médicaments d'intérêt thérapeutique majeur ?
Chaque heure compte pour prendre ces décisions vitales. Coordonner la production, réquisitionner les entreprises nécessaires, impliquer les travailleurs concernés, c'est ce que nous appelons la planification sanitaire.
Nous en sommes là aujourd'hui parce que la loi du marché a eu le dernier mot : il y a trente ans, 80 % des médicaments étaient produits en Europe ; aujourd'hui, c'est 20 %.
Organisez le retour de l'État, monsieur le Premier ministre. Nationalisez, réquisitionnez – ou bien laissez-nous faire ! Sans quoi vous aurez des comptes à rendre pour un naufrage.
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran,Je tiens à corriger l'une de vos affirmations – la liste pourrait être longue mais il en est une que je souhaite rectifier immédiatement : aucune demande de limitation du recours à la morphine n'a été adressée à qui que ce soit.
Mme Mathilde Panot. Ce sont les soignants qui le disent !
M. Olivier Véran,Vous prétendez que nous avons exigé des soignants qu'ils limitent le recours à la morphine. Je le répète, en tant que ministre des solidarités et de la santé, et avec gravité – vous ne pouvez pas manipuler une telle information pour faire un effet de tribune : il n'y a aucune limitation à l'administration aux patients de médicaments permettant de lutter contre la douleur.
Mme Mathilde Panot. C'est ce que disent les soignants en Île-de-France !
M. Olivier Véran,En revanche, les stocks de produits anesthésiques et l'utilisation de certains produits dans les hôpitaux font l'objet de tensions. Pour les premiers, le Premier ministre l'a expliqué à l'instant, nous pouvons compter sur un stock national stratégique portant sur huit molécules d'intérêt majeur et permettant de faire des commandes massives et sur une gestion rigoureuse, territorialisée, en fonction des besoins exprimés par les établissements de santé et les médecins libéraux.
Le Premier ministre a également mentionné l'explosion de la consommation – jusqu'à 2 000 % d'augmentation – de certains médicaments, non pas en France mais dans le monde entier – aux États-Unis, en Europe, dans toute l'Asie, en Afrique, bref, partout. Lorsque tous les pays recherchent le même médicament au même moment, les capacités de production sont évidemment mises sous tension, en France comme ailleurs, de manière à pouvoir répondre à la demande.
Mais, à mesure que l'épidémie progresse, que les malades s'accumulent dans les hôpitaux et les services de réanimation, tous les systèmes productifs et tous les systèmes de soins du monde entier se trouvent en tension.
Tenter de faire croire que le problème serait franco-français n'est pas à la hauteur des enjeux, madame Panot.
Je n'ai jamais nié, et je ne nierai jamais, les difficultés lorsqu'elles existent – et elles peuvent survenir. C'est la raison pour laquelle nous prenons toutes les mesures nécessaires : par exemple, la réquisition des masques le 3 mars – la France a été le seul pays en Europe à la décider.
Le Président de la République a annoncé ce matin que 10 000 respirateurs ont été commandés auprès de l'ensemble des industries de notre pays capables, en quelques jours, de réorienter leur production pour fournir du matériel de protection et des moyens de soigner les malades.
C'est l'image de la France que nous pouvons renvoyer depuis cet hémicycle.