M. René Trégouët rappelle à l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, les conclusions du rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le blanchiment d'argent sale en Europe. La mission parlementaire qui vient d'achever ses travaux juge que la coopération judiciaire de la Suisse n'est pas toujours exempte de lenteurs et de formalisme.
Elle estime aussi que dans ce pays, qui a laissé le soin aux intermédiaires financiers la responsabilité de mettre en place les mécanismes de surveillance des règles anti-blanchiment, la question de l'efficacité de la lutte contre le blanchiment d'argent sale laisse à désirer. Le rapport conclut que la Suisse reste trop ouverte à l'utilisation de mécanismes systématiquement empruntés par la criminalité financière.
Il lui demande en conséquence de bien vouloir lui donner son sentiment sur ces conclusions, notamment en ce qui concerne l'amélioration de la coopération judiciaire entre la Suisse et la France.
Réponse. - La garde des sceaux, ministre de la justice fait connaître à l'honorable parlementaire que sa question a retenu toute son attention. Elle rappelle que la lutte contre le blanchiment de l'argent sale en liaison avec le renforcement de la coopération judiciaire en Europe constitue une priorité du Gouvernement.
A cet égard, au cours de sa présidence de l'Union européenne, la France a largement contribué à mettre en uvre l'action de lutte contre le blanchiment décidée par le Conseil européen de Tampere au mois d'octobre 1999. Il convient en particulier de mentionner l'accord obtenu sur la révision de la directive communautaire sur le blanchiment des capitaux, sur l'élargissement du mandat d'Europol au blanchiment de toutes les infractions ainsi que sur un projet de décision-cadre ayant pour objet de rapprocher la législation des Etats membres quant au champ de l'infraction de blanchiment et aux seuils des peines encourues.
Par ailleurs, s'agissant des relations entre l'Union européenne et la Suisse, la garde des sceaux rappelle qu'il est envisagé de conclure un accord de coopération pour lutter contre la fraude et les autres activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés et de la Suisse et qu'une réflexion est actuellement engagée sur l'éventuelle association de la Suisse à l'acquis de Schengen.
Parallèlement aux travaux menés au sein des instances de l'Union européenne, le Groupe d'action financière (GAFI) dont la Suisse est membre mène une action importante en matière de lutte contre le blanchiment : il s'agit, d'une part, d'amener les pays et territoires qualifiés de " non coopératifs " à aligner leur législation et leur politique sur les standards internationaux et, d'autre part, d'entreprendre la révision des quarante recommandations du GAFI en intégrant trois sujets essentiels eu égard aux critiques de la mission parlementaire sur la Suisse : les modalités d'identification des ayants droit économiques, la transparence des entités juridiques et le rôle des professions juridiques et comptables.
C'est dans ce contexte qu'il convient d'apprécier l'important travail réalisé par la mission parlementaire sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe et notamment en Suisse. S'agissant précisément de l'amélioration de la coopération judiciaire entre la Suisse et la France, il est vrai que les nombreuses possibilités de recours admises en droit suisse sont à même de constituer une entrave au bon fonctionnement de l'entraide judiciaire avec la confédération.
Par ailleurs, la coopération judiciaire pénale se heurte à la réserve fiscale à laquelle la Suisse subordonne l'entraide répressive internationale ainsi qu'à la question du secret bancaire. La perspective de progrès nouveaux dépend donc en partie des évolutions internes dans ces différents domaines.
Néanmoins, au cours des dernières années, la Suisse et la France, qui sont des partenaires très fréquents en matière de coopération judiciaire, se sont engagées dans d'importantes négociations : ainsi un accord en vue de compléter entre la France et la Suisse la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale a été signé à Berne le 28 octobre 1996.
Cet instrument, qui élargit le champ d'application de l'entraide judiciaire, instaure en particulier un mécanisme de transmission directe des demandes entre autorités judiciaires. De plus, un accord relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière signé à Berne le 11 mai 1998 a mis en place un dispositif de coopération inspiré de la convention de Schengen comprenant notamment l'observation et la poursuite transfrontalières.
Enfin, la négociation d'un accord instaurant une procédure simplifiée d'extradition est en cours de finalisation.Ces trois instruments dont les deux premiers sont aujourd'hui en vigueur démontrent la volonté d'améliorer substantiellement la coopération judiciaire entre nos deux pays et devraient permettre d'enregistrer des progrès significatifs.
Par ailleurs, magistrats français et suisses entretiennent désormais des relations fréquentes dans l'intention d'améliorer concrètement la coopération judiciaire. Ainsi, le 16 mai 2000, deux délégations de magistrats conduites par les deux procureurs généraux de Genève et de Lyon se sont rencontrées pour traiter notamment de la question de la lutte contre le blanchiment des capitaux.
La poursuite et l'intensification de ces relations seront aussi des facteurs d'amélioration de la coopération.