Mme Christine Arrighi appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse sur la défense du lycée professionnel face à une importante réforme. En effet, le lycée professionnel s'apprête à subir l'une des réformes les plus importantes de ces dernières décennies, avec la singularité de faire l'unanimité contre elle, chez les enseignants et dans leurs représentations syndicales.
La diminution drastique (près de 30 %) du nombre d'heures consacrées aux enseignements généraux (français, histoire-géographie, mathématiques, etc.) réalisée en 2019 était déjà l'expression d'un mépris pour ce segment du système. Le ton de cette réforme a été donné également par l'attribution d'une double tutelle au lycée professionnel : le ministère de l'éducation et celui du travail.
Un chantier chapeauté par la secrétaire d'État Carole Grandjean. Acte-t-on que les 650 000 lycéennes et lycéens de la voie professionnelle ne seraient pas pleinement élèves et que le ministère de l'éducation n'en aurait la charge qu'à moitié ? Tout cela n'augurait rien de bon et le contenu de la réforme est à la hauteur des inquiétudes.
En voici les principaux points : priorité donnée à l'apprentissage ; augmentation (de près de 50 %) du temps de stage, laquelle induit une baisse de la valeur des diplômes des élèves, rendant impossible la poursuite d'études, une perte de qualifications qui, jusqu'ici, leur garantissaient certains droits dans le cadre de conventions collectives ; révisions locales des cartes de formation pour les adapter à la demande du marché et autonomisation des établissements dont les conseils d'administration pourront être dirigés par des chefs d'entreprises, afin que ces derniers déterminent localement leurs besoins.
Passer moins de temps sur les bancs de l'école, voilà qui acte le désintérêt du Gouvernement pour la formation générale des élèves issus des catégories populaires. L'apprentissage charrie également son lot de lieux communs comme placer les élèves au plus près de la vie de l'entreprise, eux qui, dit-on, « ne sont pas faits pour les études ».
On fait croire aussi que le contrat d'apprentissage faciliterait l'accès à l'emploi. Ce n'est vrai que si l'on oublie le nombre important de jeunes qui abandonnent avant le diplôme, que si l'on néglige qu'il discrimine les filles et les jeunes issus de l'immigration ou que si l'on ne veut voir que la réalité de quelques métiers en tension.
Surtout, avec le développement de l'apprentissage, l'État se déleste de sa responsabilité éducative en la laissant tomber aux mains des seules entreprises et de leurs patrons. C'est une rupture majeure avec une tradition héritée des Lumières et de la Révolution française : celle de permettre, par la régulation de l'État, un accès désintéressé aux savoirs pour tous les jeunes entre 15 et 18 ans sans verrouiller leur avenir professionnellement et désormais géographiquement.
Ce qui se joue au lycée professionnel est un renoncement à sa mission éducative et donc aussi émancipatrice. Depuis 1985 et la mise en place du bac professionnel, ce dernier devait participer à l'objectif de démocratisation scolaire, c'est-à-dire permettre aux élèves de poursuivre des études dans le supérieur et de cheminer dans un monde du travail selon leurs désirs et leurs histoires, dotés des droits associés à leurs qualifications.
Même si cela n'a pas suffisamment fonctionné, on ne peut pas cautionner la mise au pas des enfants des catégories populaires soumis au bon vouloir des chefs d'entreprises et au dogme de l'employabilité. C'est pourquoi elle l'interpelle pour lui demander l'arrêt de la réforme en cours et d'engager un chantier qui permette au lycée professionnel de devenir, au contraire, le lieu majeur de développement de filières de formation répondant aux besoins écologiques de produire et de consommer autrement, aux enjeux sociaux causés par le vieillissement de la population ou à l'accompagnement du handicap, aux besoins de qualification liés aux nécessités de la réindustrialisation. Elle lui demande ses intentions à ce sujet.