Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, c'est la quatrième fois depuis le début de mon
mandat de parlementaire que j'interpelle le Gouvernement au sujet du désamiantage du campus
de Jussieu. Si j'insiste, c'est parce que le chantier de Jussieu, qui est sous la responsabilité
directe de l'Etat, mérite une gestion exemplaire ; il permet en effet d'explorer ce qu'il est
possible de réaliser pour le parc amianté. C'est aussi parce qu'il s'agit d'un problème de santé
publique qu'il faut résoudre rapidement.
Il y a quatre ans, le 4 décembre 1996, un contrat, signé par le ministre de l'éducation nationale
de l'époque, prévoyait le désamiantage et la mise en sécurité du campus de Jussieu en trois
ans. Or les travaux ne sont terminés que pour une seule « barre », soit 2,5 % de la surface à
traiter. Les travaux actuels concernent 7,5 % de celle-ci et il est projeté de mettre en chantier
10 % du campus au cours de l'année prochaine. Restent 80 % du campus pour lesquels rien
n'est programmé.
On ne peut qu'être inquiet devant cette situation, qui oblige 50 000 personnes à fréquenter un
campus sans signal d'alarme, où la tenue au feu des bâtiments est de dix minutes, alors que la
durée réglementaire est de une heure trente, alors que Jussieu subit deux ou trois débuts
d'incendie chaque année.
Un budget est prévu pour assurer un minimum de sécurité : alarmes dites « coups de poing »
et issues de secours dans les escaliers. Mais même ces mesures a minima ne sont pas
encore mises en oeuvre. De plus, le comité d'hygiène et de sécurité de Paris VI a émis un avis
négatif au sujet des alarmes en question.
Pis, l'établissement public en charge du chantier, après avoir fixé lui-même un calendrier de
travaux de cinq ans à l'automne 1997, n'a jamais respecté ces délais. Le comité anti-amiante,
dont tout le monde reconnaît le sérieux et qui a eu le mérite de faire prendre conscience de la
gravité du problème posé par l'amiante, affirme que le nombre de victimes de la contamination
sur ce site est passé de neuf en 1994 à soixante-dix aujourd'hui. Ces chiffres, fournis par les
médecins de prévention universitaires, l'équivalent des médecins du travail, montre que ce
dossier doit être abordé par l'Etat avec plus de sérieux que cela n'a été, me semble-t-il, le cas
jusqu'à présent.
Je ne peux que comprendre l'exaspération des personnels qui ont saisi le tribunal administratif
en vue de faire fermer le campus. Si le tribunal n'a pas accédé à cette demande, il a néanmoins
souligné « la nécessité de mesures de mise en sécurité plus sévères », reconnaissant, en
quelque sorte, la légitimité de l'action du comité anti-amiante.
Dans cet esprit, je vous demande, monsieur le ministre, quelles mesures compte enfin prendre
l'Etat pour accélérer les travaux de manière significative.
A cette fin, le comité anti-amiante demande la réunion d'une table ronde sur la mise en sécurité
de Jussieu qui rassemblerait tous les acteurs concernés et aurait pour mission de trouver une
solution consensuelle permettant de concilier l'urgence de la mise en sécurité et la continuité
du service public. Vu l'urgence de la situation, je ne peux qu'appuyer cette demande de bon
sens, et je souhaiterais connaître, monsieur le ministre, votre opinion à ce sujet.
M. le président. La parole et à M. le ministre.
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel. Vous avez tout à
fait raison, madame la sénatrice, de vous préoccuper comme vous le faites de cet important
dossier. Vous me permettrez toutefois de relativiser quelque peu la gravité de certains des
éléments de votre description de la situation.
Il avait certes été prévu, à l'origine, de réaliser le désamiantage en trois ans. La bonne volonté
du ministre alors en exercice ne me paraît pas devoir être mise en doute. Simplement, à
l'époque, on méconnaissait les difficultés techniques que l'opération soulève ; la technique du
désamiantage sur des bâtiments d'une telle importance n'était pas maîtrisée. Nous devons
évidemment en tenir compte dans le bilan que nous établissons.
Par ailleurs, le financement de l'opération n'était pas assuré. Or, désormais, et c'est la première
information que je puis vous donner, il n'existe plus de limites financières au déroulement des
travaux. Cela étant, un autre problème se pose : il faut non seulement désamianter mais aussi
faire en sorte que les activités de l'université puissent se poursuivre ailleurs. Il faut donc des
mètres carrés disponibles pour les accueillir. Or, là aussi, force est de constater que toutes les
dispositions utiles n'ont pu être prises à temps, et cela n'est pas imputable à la mauvaise
volonté de tel ou tel. On peut seulement dire que les différents établissements dans lesquels
nous installons les activités de Jussieu à titre transitoire n'étaient pas en mesure de mettre
immédiatement des bâtiments à notre disposition.
Ces préalables étant posés, j'en viens maintenant, madame Borvo, aux éléments plus
techniques de la réponse à votre question.
Pour accélérer les travaux, plusieurs actions ont été engagées depuis l'été 2000.
Accélérer les travaux c'est d'abord rechercher davantage de locaux de transition. Conformément
à la convention Etat-Ville de Paris, un groupe de travail spécifique a examiné à partir du mois
de septembre de nombreux sites parisiens susceptibles d'être réaménagés en locaux de
transition. A cette date, les opportunités les plus intéressantes sont à l'étude : l'ancien hôpital
Boucicaut Saint-Lazare ou l'hôtel industriel Unibail sur la ZAC Paris-Rive gauche. Ces locaux,
ajoutés à ceux qui ont déjà été aménagés par l'établissement public du campus de Jussieu ou
qui seront bientôt livrés, pourraient contribuer à accélérer notablement le rythme du chantier.
Accélérer le chantier de Jussieu, c'est surtout réaliser rapidement l'opération Paris-Rive gauche.
En effet, toute l'université Paris-VII doit être transférée à Paris-Rive gauche, dont les premières
surfaces seront livrées en 2003-2004. Les décisions capitales pour cette opération ont été
prises à l'été 2001 : mise à disposition des terrains, concrétisée par la signature de la
convention Etat-Ville de Paris ; mise en place de la maîtrise d'ouvrage déléguée à
l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels, par la convention signée avec
Mme la ministre Catherine Tasca ; enfin, lancement des études de programmation, qui se sont
déroulées au mois d'octobre dernier.
Accélérer ce chantier, c'est enfin avoir une vision globale du devenir du site. Sur le plan
scientifique, les grandes lignes de réorganisation des universités ont été actées à la fin de
2000. Sur les plans architectural et urbain, il nous faut avancer vite et bien inscrite les
opérations de désamiantage et de rénovation dans un schéma d'aménagement et d'urbanisme
global, donnant une vision d'ensemble de la transformation du campus, au service des étudiants
et au bénéfice de la ville. C'est Jean Nouvel qui a été nommé en novembre 2000 pour élaborer
ce schéma.
Parallèlement à ces actions, l'établissement public du campus de Jussieu a étudié avec les
universités, à la demande du ministre, une série de mesures pour améliorer dans les meilleurs
délais la sécurité des personnes sur le campus ; ce n'était pas le moindre des problèmes,
compte tenu des faits que vous avez vous-même soulignés.
Un programme de 19 millions de francs de travaux d'amélioration de la sécurité a été engagé
dès octobre 2000 : alarmes dans toutes les barres, balisage des issues, sécurisation des
circulations verticales, encloisonnement des escaliers, désenfumage, ajout de deux escaliers
de secours extérieurs.
Je ne crois donc pas, madame la sénatrice, quelle que puisse être notre impatience à tous, et
parfois aussi notre irritation, qu'un tel programme puisse être qualifié de peu sérieux.
Un responsable unique de la sécurité a été désigné sur le campus, qui coordonnera les
services de sécurité des universités et qui aura auprès de lui une équipe permanente.
Le maintien de bonnes conditions de sécurité sur le campus est une préoccupation constante
des universités. Il doit être noté à cet égard que le tribunal administratif de Paris, par décision
du 29 janvier 2001, a rejeté la requête du comité anti-amiante demandant la fermeture du
campus. Le juge a relevé que « la situation ne justifiait pas la fermeture de l'ensemble du
campus de Jussieu ».
Nous en prenons acte, comme nous aurions pris acte d'une décision contraire.
Par ailleurs, un avis favorable à la poursuite de l'exploitation de l'ensemble des bâtiments a été
rendu le 23 janvier par la commission de sécurité.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais, vous le
comprendrez, elle ne me satisfait pas entièrement.
Je suis heureuse que les financements qui n'étaient pas prévus le soient désormais mais je me
permets de rappeler que, le 10 février 1999, le ministre de l'éducation nationale s'était engagé
devant moi de la manière suivante : « Le désamiantage, démarré pour une première barre en
1998, se poursuivra en 1999 par trois barres. Il est ensuite prévu de mettre en chantier quatre
barres tous les six mois. » Il est clair qu'on n'arrive pas à respecter ce programme. Je n'ignore
pas les problèmes que pose le relogement des activités mais je pense que la communauté
universitaire mérite quand même d'être mieux traitée.
Concernant la sécurité, vous n'avez pas répondu à toutes mes interrogations, monsieur le
ministre. La commission de sécurité, qui a été diligentée par le préfet de police et qui est
passée rapidement le 23 janvier dernier, est intervenue deux jours seulement avant l'audience
du tribunal administratif consacrée à la demande de fermeture du campus. De plus, elle ne
disposait pas des rapports de contrôle et de vérification obligatoires. Tout cela laisse rêveur !
J'ai bien noté les engagements que vous avez pris, monsieur le ministre, mais je continuerai à
suivre de près les opérations de désamiantage à Jussieu.