Mme Christelle D'Intorni appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'existence de la dispense de formation initiale dans un centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) et de l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) permise par l'article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, pour certaines personnes souhaitant prêter serment et exercer la profession d'avocat.
Il s'agit d'une part des notaires, huissiers de justice, greffiers des tribunaux de commerce, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires au redressement et à la liquidation des entreprises, anciens syndics et administrateurs judiciaires, conseils en propriété industrielle et anciens conseils en brevet d'invention ayant exercé leurs fonctions pendant cinq ans au moins.
De même des maîtres de conférences, s'ils sont titulaires du diplôme de docteur en droit, en sciences économiques ou en gestion, justifiant de cinq ans d'enseignement juridique en cette qualité dans les unités de formation et de recherche. Et d'autre part, des juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises ; des fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale ; des juristes attachés pendant huit ans au moins à l'activité juridique d'une organisation syndicale ; des juristes salariés d'un avocat, d'une association ou d'une société d'avocats, d'un office d'avoué ou d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle en cette qualité postérieurement à l'obtention du titre ou diplôme exigé pour l'exercice de la profession d'avocat ; ou des collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique à titre principal avec le statut de cadre pendant au moins huit ans dans ces fonctions.
Cette dispense leur permet, à la condition d'avoir réussi un examen de contrôle de connaissances en déontologie et réglementation professionnelle, d'exercer au même titre que les avocats ayant dû réussir l'examen d'entrée au CRFPA puis obtenus le CAPA. Or tant la préparation de l'examen en vue d'intégrer un CRFPA, que la nécessité ensuite d'obtenir le CAPA, sont des garanties d'une formation solide et exigeante en droit pour ceux qui sont appelés à être des experts de la matière juridique et à défendre et conseiller efficacement ceux qui font appel à eux.
Bien qu'il y ait quelques conditions posées par ce décret visant à encadrer la passerelle, celles-ci ne sont pas suffisantes pour écarter avec certitude le doute qui pourrait exister sur la parfaite maîtrise juridique de ceux qui deviennent avocat par ce biais. La profession d'avocat pâtirait de l'idée que les Français puissent avoir affaire à deux « types » d'avocats, selon la manière dont ils sont parvenus à l'honneur de revêtir la robe.
Si ce doute semble pouvoir être raisonnablement écarté pour les professions telles que notaires, huissiers de justice, greffiers de tribunaux ou encore maîtres de conférence titulaires d'un doctorat en droit, pour lesquelles d'ailleurs la condition d'année nécessaires d'exercice est réduite, il est en revanche plus présent pour les autres bénéficiaires de cette passerelle.
Aussi elle lui demande si, dans le but de renforcer l'image d'excellence de la profession d'avocat, il entend renforcer les exigences requises par cette passerelle pour les catégories 3 à 7 de l'article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, en proposant par exemple l'obligation de suivre la formation initiale en école d'avocat et de sanctionner leur aptitude par la validation du CAPA.
L'article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat permet à sept catégories de personnes, candidats à la profession d'avocat, d'être dispensées de la formation initiale et de l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) en fonction des activités qu'ils ont précédemment exercées.
Il s'agit principalement des professions judiciaires et juridiques réglementées (1°), des maîtres de conférences (2°), des juristes d'entreprise (3°), des fonctionnaires de catégorie A (4°), des juristes attachées à l'activité juridique d'une organisation syndicale (5°), des juristes salariés d'un avocat ou d'un avocat aux conseils (6°) et des collaborateurs et assistants parlementaires (7°).
En premier lieu, cette dispense n'exonère pas ces candidats à la profession d'avocat des autres conditions posées à l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, et notamment la condition de diplôme visée à son 2°. En second lieu, les dispositions réglementaires prévues à l'article 98 posent des conditions très précises et très strictes, comme le fait d'être fonctionnaire de catégorie A (4°), de justifier d'une pratique professionnelle postérieurement à l'obtention du diplôme mentionné au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 (6°) ou encore d'exercer cette activité juridique à titre principal avec le statut de cadre (7°).
Il peut être également noté, qu'alors que les deux premières catégories exigent une durée d'exercice d'au moins cinq ans, les catégories professionnelles visées du 3° au 7° imposent huit années d'exercice. Par ailleurs, s'agissant de voies d'accès dérogatoires, la Cour de cassation en fait une interprétation restrictive.
Elle définit ainsi le juriste d'entreprise comme étant celui qui assume de façon autonome et organisée des attributions le plaçant de manière constante au cœur de la vie juridique de l'entreprise et rendues nécessaires par la taille de celle-ci, le nombre de ses collaborateurs et employés, la nature juridique de ses prestations, l'engagement de sa responsabilité civile, le recouvrement de ses créances, la mise en œuvre de ses diverses obligations de nature contractuelle, administrative, fiscale (Cass. Ch.
Mixte, 6 fév. 2004, n° 00-19.107). S'agissant du fonctionnaire ayant exercé dans une organisation internationale (et notamment européenne), la Cour de cassation s'assure de la connaissance effective du droit national par le candidat admis à exercer la profession. Dans un arrêt du 5 mai 2021, la première chambre civile (17.21-206) a confirmé la décision des juges d'appel qui ont considéré que le fonctionnaire européen, qui ne justifiait d'aucune pratique du droit national, ne remplissait pas les conditions de l'article 98.
La Cour de justice de l'union européenne a jugé que le droit de l'Union européenne ne s'opposait pas à une réglementation nationale qui réservait le bénéfice d'une telle dispense à la condition que l'intéressé ait exercé des activités juridiques dans le domaine du droit national (CJUE 17 dec. 2020, aff C-218/19).
S'agissant du juriste attaché à l'activité juridique d'une organisation syndicale, la Cour de cassation exige que l'activité syndicale soit exclusive et s'exerce au sein d'une organisation syndicale au sens des articles L. 2231-1 et L. 2131-2 du code du travail ou pour partie par des organismes qui ne constituent que des émanations de ce syndicat (Civ 1ère 12 mars 2002, 01-00.404).
Comme pour les juristes d'entreprise ou les fonctionnaires, la première chambre civile a rappelé que « l'activité juridique visée à l'article 98, 5°, du décret du 27 novembre 1991 doit avoir été exercée sur le territoire français, dès lors que la prise en compte de cette expérience permet de passer outre les épreuves d'admission au certificat français d'aptitude à la profession d'avocat selon la procédure dérogatoire prévue par ce texte ; (…) que cette condition, indépendante de la nationalité du requérant, n'est pas discriminatoire à l'égard des ressortissants d'autres Etats membres de l'Union européenne, qui peuvent la remplir s'ils ont travaillé en France, et qu'elle est indispensable pour garantir les connaissances et qualifications nécessaires à l'exercice de cette profession sur le territoire national ; que la cour d'appel a ainsi fait ressortir que cette réglementation se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général de protection des justiciables, qu'elle est propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et qu'exigeant des connaissances et qualifications de nature à protéger les droits de la défense et la bonne administration de la justice, elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre » (Civ 1ère 14 déc. 2016, 14-25.800).
S'agissant du juriste visé au 6°, la dispense est soumise à la qualité de salarié et à une pratique professionnelle d'une durée de huit années en exécution d'un emploi à plein temps (Civ 1ère, 3 juillet 2008, 07-15.551 ; Civ 1ère, 5 fév. 2009, 08-10.036). S'agissant enfin des collaborateurs et assistants parlementaires, la Cour de cassation a considéré que la requérante attachée en qualité d'assistante à un groupe parlementaire plutôt qu'à un député ou un sénateur ne remplissait pas les conditions posées par le texte (Civ 1ère, 6 février 2019, 18-50.003).
En outre, conformément à l'article 98-1 du décret du 27 novembre 1991, les personnes bénéficiant d'une des dispenses prévues à l'article 98 doivent avoir subi avec succès un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle et nul ne peut se présenter plus de trois fois à cet examen.
Le programme et les modalités de cet examen sont fixés par arrêté du garde des Sceaux du 30 avril 2012. L'examen est national et se déroule devant le même jury que celui du CAPA. L'admission est prononcée au vu de la note obtenue par le candidat, qui doit être au moins égale à 12 sur 20. Enfin, comme tous les avocats, ces professionnels devenus avocats seront soumis aux obligations de formation continue (20h par an ou 40h tous les deux ans), comme tous leurs confrères.
En conséquence, au regard de l'ensemble de ces éléments, le ministère de la Justice considère que les voies d'accès dérogatoires à la profession d'avocat prévues à l'article 98 du décret du 27 novembre 1991 répondent aux exigences nécessaires et proportionnées qu'imposent les missions d'intérêt général confiées à l'avocat et dont l'activité participe à l'Etat de droit.