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Mutisme du Gouvernement sur la fin de l'obligation de traduction des brevets européens en français

Question écrite de - Industrie

Question de ,

Diffusée le 27 septembre 2000

M. Xavier Darcos attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur les conséquences de l'accord intergouvernemental mettant fin à l'obligation de traduction des brevets européens en français que le Gouvernement se propose de signer le 16 octobre prochain à Londres, c'est-à-dire dans moins de trois semaines.

En juin 1999, le Gouvernement et les professionnels étaient parvenus à un compromis permettant de répondre au souci de réduction des coûts de traduction en limitant l'obligation de traduction à la " seule partie signifiante " de la description du brevet indispensable pour la compréhension de l'intervention.

C'est cette solution que le Gouvernement s'était engagé à défendre dans le cadre des travaux de la conférence intergouvernementale. Or, contre toute attente et sans concertation avec les professionnels, les négociateurs français se sont ralliés à une nouvelle position qui risque de mener " au tout anglais " alors même que l'Académie des sciences morales et politiques n'avait pas manqué de mettre l'accent sur " le danger d'accélérer et de généraliser un mouvement tendant à faire de la langue anglaise la langue unique de la technologie et de l'industrie ".

Plusieurs questions écrites lui ayant déjà été posées au Sénat (questions 27029, 27286, 27289, 27501 publiées aux JO des 27 juillet, 24 août, 7 septembre 2000), il s'étonne du mutisme du Gouvernement sur un sujet d'une telle importance pour les intérêts économiques de la France et il lui demande de bien vouloir lui faire connaître, avant la Conférence de Londres, quelles mesures il compte prendre pour maintenir la traduction des brevets européens en langue française.

Réponse - Industrie

Diffusée le 22 novembre 2000

Réponse. - Le brevet est un titre qui permet à l'auteur d'une invention d'empêcher quiconque de l'exploiter sans son autorisation. C'est un élément très important de promotion de l'innovation. Le brevet européen, qui unifie la délivrance des brevets pour dix-neuf pays, fonctionne bien, mais se protéger dans toute l'Europe demeure très cher, alors qu'aux Etats-Unis ou au Japon, le délivrance des brevets est rapide et peu coûteuse.

Le brevet est un pari sur l'avenir, car son auteur ne peut savoir par avance si une invention sera rentable ou non. Il est donc nécessaire de breveter assez vite et assez largement ses inventions. Pour cela, il faut que le coût d'entrée dans le brevet européen ne soit pas dissuasif pour le rendre largement accessible, notamment aux PME, aux organismes de recherche ou encore aux inventeurs indépendants.

Cet objectif de réduction des coûts des brevets a été poursuivi de plusieurs façons, en particulier par la diminution de moitié, en janvier 2000, de la taxe de recherche pour le brevet français, qui constitue souvent un préalable à une extension en brevet européen. Concernant le brevet européen, la France a lancé en 1999 une conférence intergouvernementale des Etats membres de l'Organisation européenne des brevets (OEB), qui s'est tenue à Paris les 24 et 25 juin 1999.

L'objectif poursuivi était, d'une part, de réduire les coûts d'obtention des brevets européens, d'autre part, d'améliorer leur sécurité juridique. Cette initiative s'inscrit plus largement dans la politique du Gouvernement en faveur de l'innovation, dont l'accès au brevet en général - et au brevet européen en particulier - n'est qu'un élément.

Cette conférence intergouvernementale a mandaté un groupe de travail pour faire des propositions visant la réduction de 50 % des coûts liés aux traductions, qui représentent le premier poste de coût d'obtention d'un brevet européen. Lors des travaux du groupe, il est apparu que la recommandation initialement promue par la France, qui reposait sur la limitation des exigences de traduction à la seule production d'une traduction partielle, était combattue par la plupart des Etats.

En revanche, s'est dessiné un mouvement en faveur de l'abandon complet des exigences de traduction, pour peu que le brevet soit disponible en anglais. La France s'est élevée contre cette approche préjudiciable à la langue française, qui aurait de plus constitué un précédent pour la négociation du brevet communautaire.

Une proposition de compromis a été trouvée sous la forme d'un accord facultatif pour les Etats. Par cet accord, les Etats signataires ayant une langue en commun avec l'OEB (allemand, anglais, français) renonceraient à exiger des déposants la traduction des brevets européens. Les autres pays signataires de l'accord auraient la faculté de désigner une langue officielle de l'OEB, et de ne pas exiger de traduction, dès lors que le brevet serait disponible en cette langue.

L'accord prévoit en outre que tout pays peut continuer à exiger la traduction des revendications. Si la France était partie à l'accord, elle ferait naturellement usage de cette faculté. Concrètement, il ne serait plus exigé du déposant la traduction du français de l'intégralité des brevets européens délivrés dans une autre langue que le français, mais uniquement la traduction des revendications, conformément à la convention de 1973 instituant le brevet européen.

Par ailleurs, un tel accord ne peut être signé que si sa compatibilité avec la constitution est claire et s'il assure à la langue française un traitement équitable par rapport aux autres langues officielles de l'OEB. Le Conseil d'Etat, saisi pour avis par le Premier ministre, a estimé que le projet d'accord n'est pas en lui-même contraire à l'article 2 de la Constitution, qui stipule que la langue de la République est le français.

Pour que la France puisse être partie à cet accord, il a été jugé nécessaire que la traduction des revendications mais aussi des descriptions puissent toujours être disponibles en français. Il est donc prévu que si la France se joignait à cet accord, elle s'astreindrait à fournir la traduction des descriptions des brevets, sous maîtrise d'ouvrage de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), afin de maintenir la disponibilité en langue française des brevets européens.

Pour les déposants français - entreprises, chercheurs, parfois simples particuliers -, ce projet d'accord limiterait considérablement le coût et la complexité d'un outil indispensable. Vis-à-vis de la langue française, il affirmerait la prééminence des trois langues de l'OEB, dont le français fait partie, avec l'anglais et l'allemand.

Ce projet d'accord suscite cependant depuis plusieurs mois des interrogations et de réelles inquiétudes en France, notamment de la part des parlementaires et des professionnels de la propriété industrielle. Le Gouvernement est conscient des préoccupations ainsi soulevées et entend donc ne signer l'accord que si l'intérêt général en est parfaitement établi et s'il suscite une large adhésion permettant d'envisager sereinement sa ratification.

Lors de la seconde conférence intergouvernementale qui s'est tenue les 16 et 17 octobre 2000 à Londres, le Gouvernement a donc annoncé que la France ne pouvait à ce jour envisager la signature de l'accord proposé. Il a ainsi rappelé que son objectif était de parvenir à une réduction notable des coûts d'obtention des brevets tout en préservant la place de la langue française dans le système européen des brevets.

A Londres, huit Etats ont signé l'accord (Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Monaco, Liechtenstein), et cinq ont annoncé qu'ils ne signeront pas l'accord (Portugal, Grèce, Italie, Espagne, Finlande). Deux autres états, la Belgique et le Luxembourg, ont annoncé leur intention de se joindre aux premiers signataires.

Les autres Etats membres (Chypre, Irlande, Autriche) réservent leur position mais n'excluent pas de signer ultérieurement. Pour sa part, le gouvernement français a décidé de poursuivre les consultations, en sollicitant toutes les parties intéressées : parlementaires et élus, entreprises et chercheurs, avocats, conseils en propriété industrielle, académies, etc.

Le Gouvernement s'appuiera sur cette concertation pour arrêter sa position à l'égard de l'accord, au plus tard le 30 juin 2001.

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