Mme Valérie Gomez-Bassac alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les insuffisances du système pénitentiaire en matière de prise en charge de soins psychiatriques. D'une part, le dispositif français prévoit trois niveaux de prise en charge psychiatrique de la personne reconnue responsable : à titre principal, les soins sont dispensés au sein des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) implantés dans les établissements pénitentiaires ; en cas de crise et de refus de soins, la personne peut faire l'objet d'une hospitalisation d'office dans des établissements hospitaliers habilités ; enfin, entre le SMPR et l'hospitalisation d'office, de nombreux établissements pénitentiaires accueillent des personnes atteintes de troubles mentaux, considérées comme inadaptées à la détention de « droit commun » sans relever cependant des conditions de placement en hôpital psychiatrique.
Depuis le décret n° 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l'organisation de la sectorisation psychiatrique, les soins psychiatriques des personnes détenues placées auparavant sous la responsabilité des établissements pénitentiaires dépendent désormais du service public hospitalier (la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 a étendu ce principe à l'ensemble des soins - y compris somatiques).
Les soins psychiatriques en milieu pénitentiaire s'organisent d'abord par les prises en charge ambulatoires réalisées par les équipes de psychiatrie générale et ensuite, pour les soins plus complets, avec le consentement des intéressés, au sein de l'un des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) implantés dans les plus grands établissements pénitentiaires.
Ces services constituent des secteurs de psychiatrie au même titre que les autres secteurs créés par la loi du 31 décembre 1985 - rattachés à un établissement hospitalier (CHU, centre hospitalier régional ou hôpital psychiatrique). Ils sont animés par une équipe pluridisciplinaire associant psychiatres psychologues, infirmiers, assistants sociaux et travailleurs éducatifs.
Ils exercent principalement trois missions : recevoir systématiquement toutes les personnes arrivant dans l'établissement pénitentiaire d'implantation, assurer le suivi au cours de l'incarcération et préparer la mise en place du suivi postpénal. Les SMPR permettent d'assurer essentiellement une prise en charge médicale de jour ; seuls deux SMPR, ceux des établissements pénitentiaires de Fresnes et des Baumettes à Marseille, disposent d'une couverture paramédicale nocturne au sein d'unités psychiatriques hospitalières.
Les SMPR présentent des aspects positifs de la prise en charge : la disponibilité du personnel médical et des traitements plus effective sans doute qu'à l'extérieur du milieu carcéral ; l'organisation d'ateliers et d'activités de soutien ; l'attention réelle du personnel de surveillance, moins évidente dans le régime commun de détention où un surveillant doit veiller sur un grand nombre de détenus.
Il convient cependant de souligner que les personnes susceptibles de nécessiter un suivi médical ou psychologique ne sont pas systématiquement orientées vers les établissements disposant d'un SMPR (à l'exception des personnes condamnées pour le meurtre ou l'assassinat d'un mineur de quinze ans précédé ou accompagné de viol, de tortures ou actes de barbarie).
Ainsi, les SMPR étant principalement implantés en maison d'arrêt, la prise en charge dans les établissements pour peine s'avère insuffisante. Cette situation apparaît d'autant plus préoccupante que la prévalence des troubles psychotiques pourrait, sur la base d'observations établies sur les détenus du centre national d'observation de Fresnes, atteindre 30 % des condamnés à de longues peines.
Par ailleurs, les conditions d'hospitalisation dans le cadre pénitentiaire ne sont pas réellement comparables à celles des services hospitaliers. Les chambres d'hospitalisation ne se différencient pas des cellules de détention dans dix-sept SMPR et présentent des insuffisances liées à l'absence de système de réanimation de premier niveau et de système d'alerte ou aux risques que constituent les lits métalliques en cas de crise.
Par ailleurs, 40 % des lits d'hospitalisation se trouvent situés dans des chambres individuelles, 42 % dans des chambres à deux lits et 19 % dans des chambres à trois lits. Les chambres d'isolement peuvent être utilisées sur indication médicale lorsque le patient présente un danger pour lui-même ou autrui mais moins d'un quart des SMPR en dispose contre 84 % des secteurs de psychiatrie générale.
En outre, leurs conditions sont plus que sommaires. En outre, par lettre de mission du 5 avril 2018, le ministère de la justice et le ministère des solidarités et de la santé ont confié à la cheffe de l'inspection générale des affaires sociales et au chef de l'inspection générale de la justice une mission conjointe relative à l'évaluation de la première tranche des UHSA en vue de l'installation d'une seconde tranche.
Les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), créées par la loi d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) du 9 septembre 2002, sont des unités de soins qui accueillent des personnes détenues des deux sexes, mineures et majeures, souffrant de troubles psychiatriques et nécessitant une hospitalisation avec ou sans leur consentement.
Elles sont toutes implantées dans des établissements publics de santé mentale et enserrées par une enceinte pénitentiaire. La mission a visité l'ensemble des UHSA en activité et a conduit des entretiens tant avec les équipes soignantes et pénitentiaires qui travaillent au quotidien dans ces structures, avec des patients détenus hospitalisés dans ces unités comme avec les acteurs de leurs environnements institutionnels.
Outre les variations des profils cliniques, la mission a relevé la grande hétérogénéité d'organisation et de fonctionnement des unités liée tant aux projets médicaux qu'aux particularités locales. L'absence de pilotage territorial et national conduit à exclure les patients des UHSA des parcours de soins ou induit des admissions inappropriées.
Alors qu'elles étaient très attendues, les prises en charge des urgences constituent plus l'exception que la règle. À l'issue de ces investigations, 18 recommandations ont été formulées par la mission conjointe, avec au cœur la nécessité de mener un exercice de planification des futures UHSA dans une double perspective d'amélioration du parcours de soins du patient-détenu et d'inscription dans une offre graduelle de soins psychiatriques de droit commun.
Cette approche devrait s'accompagner d'un engagement dans une démarche de certification des UHSA par la Haute Autorité de santé (HAS). Cette démarche pourrait partir d'une confrontation des pratiques professionnelles et d'une réflexion sur leur possible harmonisation dans le cadre d'une conférence de consensus réunissant les acteurs concernés, sanitaires, judiciaires et pénitentiaires.
Aussi, elle souhaite connaître les dispositions que compte prendre le Gouvernement afin de pallier les manques de places en psychiatrie pénitentiaire et dans le suivi des recommandations exprimées par la mission conjointe relative à l'évaluation de la première tranche des UHSA.