Mme Caroline Colombier alerte M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur l'exonération par la Commission européenne des droits de douane sur les importations de gallinacés industriels en provenance d'Ukraine sans aucune limite de volume. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, la Commission européenne a autorisé l'ouverture du marché européen aux volailles industrielles du MHP avec exemption totale de droits de douane.
Le groupe MHP, sous la houlette de l'oligarchie milliardaire ukrainien Yuriy Kosiuk, produit chaque année des millions de tonnes de volailles de batterie. Cette décision de la Commission met en grave difficulté la filière agricole française car les volailles de la filière ukrainienne sont élevées dans des conditions inadmissibles, violant toutes les valeurs et les normes agro-alimentaires, sanitaires et éthiques en vigueur dans l'Union européenne.
Cette situation va totalement à l'encontre des intérêts des professionnels français du secteur ainsi que les consommateurs qui sont les premières victimes de cette décision inconséquente des instances européennes. Pourtant, une solution existe pour que le Gouvernement puisse préserver la souveraineté française : activer la clause de sauvegarde prévue par le droit européen dans le cas où l'un des États de l'Union estimerait que ses intérêts prioritaires se trouvent menacés, ce qui est le cas actuellement pour la France dont la souveraineté agro-alimentaire, voire sanitaire, est menacée.
Ainsi, la Fédération des industries avicoles rapporte que : « Sur les trois premiers mois de l'année 2023, les importations de viande fraîche vers l'UE en provenance d'Ukraine ont augmenté de 201 %. Ce sont près de 25 000 tonnes de volailles qui arrivent chaque mois sur le territoire européen. Pour la France, le volume est en hausse de 122 % depuis avril 2022, sans compter le poulet produit en Ukraine mais qui, exporté vers d'autres pays de l'Union, puis découpé sur place, est importé en France sous label européen ainsi que l'autorise la réglementation communautaire ».
Cette situation se fait honteusement au détriment de la production française. Aussi, afin de protéger la filière française de la volaille qui souffre déjà des épidémies successives de grippe aviaire, de la concurrence sauvage du poulet d'usine brésilien et de la hausse des prix de l'énergie, elle lui demande d'activer au plus vite la clause de sauvegarde conformément au règlement (UE) n° 2015/478 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2015 relatif au régime commun applicable aux importations.
En soutien à l'économie ukrainienne face à la guerre d'agression russe, l'Union européenne (UE) a libéralisé, avec le soutien du Gouvernement français, depuis le 4 juin 2022, ses échanges avec l'Ukraine pour une durée initiale d'un an. Le 6 juin 2023, le règlement (UE) 2023/1077 a prolongé la libéralisation d'une année supplémentaire soit jusqu'au 5 juin 2024.
L'ouverture des échanges avec l'Ukraine a entraîné des augmentations des importations de plusieurs produits agricoles ukrainiens dans l'UE. La part des importations ukrainiennes dans les importations européennes totales de viande de volaille est en augmentation, passant de 13 % en 2021 à 28 % entre janvier et avril 2023 (deuxième fournisseur de l'UE, dépassant le Royaume-Uni et la Thaïlande mais restant derrière le Brésil).
Face à cette augmentation, le Gouvernement est particulièrement vigilant et a demandé à la Commission européenne de renforcer le suivi de l'impact sur le marché européen des importations ukrainiennes. La décision d'activer une clause de sauvegarde prévue soit par le règlement (UE) 2015/478 relatif au régime commun applicable aux importations, soit par le règlement (UE) 2023/1077 susmentionné relève de la Commission européenne.
Selon le règlement (UE) 2015/478, elle peut activer la clause de sauvegarde si elle considère qu'un produit est importé « dans l'Union en quantités tellement accrues […] qu'un dommage grave est causé ou risque d'être causé aux producteurs de l'Union ». En outre selon le règlement (UE) 2023/1077, la Commission prend en considération « l'incidence des importations concernées sur la situation du marché de l'Union » en tenant compte notamment du taux et du volume de la hausse des importations en provenance d'Ukraine en termes absolus ou relatifs.
Concernant les importations de viande de volaille ukrainienne dans l'UE, la Commission a considéré en juillet et en octobre 2023 dans le cadre du suivi régulier des effets des mesures de libéralisation en faveur de l'Ukraine prévu par le règlement (UE) 2023/1077, que la situation sur le marché européen de la viande de volaille ne le justifiait pas.
Selon ces mêmes règlements, un État membre peut également solliciter l'activation d'une clause de sauvegarde s'il dispose d'éléments de preuve suffisants concernant des importations qui ont des effets préjudiciables sur le marché de l'UE. À l'heure actuelle, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ne dispose pas d'éléments de preuves suffisants.
Si la hausse des importations de viande de volaille ukrainienne dans l'UE du fait de la libéralisation tarifaire est indéniable, cette hausse doit toutefois être relativisée au regard du niveau de production, d'exportations et d'importations européennes et de la tendance à la hausse du prix du poulet.
La hausse des importations participe d'une tendance générale d'augmentation de l'ensemble des importations européennes, dans laquelle les importations ukrainiennes semblent davantage avoir remplacé des importations en provenance d'autres pays (Royaume-Uni principalement). Il est néanmoins probable qu'une partie des importations françaises en provenance de Pologne et, surtout, des Pays-Bas soient la conséquence directe ou indirecte des importations ukrainiennes (c'est-à-dire issues de poulets d'origine ukrainienne et/ou conséquence d'une réorientation d'une partie de la production domestique remplacée par des importations ukrainiennes).
Ainsi, sur les sept premiers mois de 2023, les importations françaises de viande de volailles ont progressé en volume [+ 4,1 % soit 18,2 kilos tonnes équivalent carcasse (ktec)] avec une hausse des volumes importés en provenance de l'UE, particulièrement depuis la Pologne (+ 11,2 % soit 15,2 ktec), les Pays-Bas (+ 13 % soit + 10,3 ktec) et la Belgique (+ 6,6 soit + 7,7 ktec).
Cependant, en juin et juillet 2023, les importations totales de viandes et préparations de poulet en France ont enregistré des baisses successives (respectivement - 2,4 % et - 4,8 %), une première depuis 2021. Ces chiffres s'inscrivent dans une tendance lourde d'augmentation des importations de viande de volaille en France depuis une vingtaine d'années.
La filière française de viande de volaille est en déficit structurel de production pour couvrir la consommation intérieure, notamment certains segments de marché. Entre 2018 et 2022, la France a exporté en moyenne 457 000 tec de viande de volaille par an (55 % à destination de l'UE) et importé en moyenne 699 000 tec de viande de volaille par an (93 % originaires de l'UE).
Face à cette situation, la reconquête de la souveraineté alimentaire est une priorité de l'action du Gouvernement. C'est pourquoi les ministres chargés de l'économie et de l'agriculture ont annoncé le 6 octobre 2023, à l'occasion du sommet de l'élevage de Cournon, un plan de reconquête de la souveraineté sur l'élevage, décliné en quatre axes : - objectiver et promouvoir les apports de l'élevage ; - améliorer le revenu des éleveurs, y compris en renforçant la compétitivité des filières d'élevage ; - accroître l'attractivité du métier d'éleveur ; - replacer l'élevage au cœur de la transition écologique.