M. Jean Hingray attire l'attention de Mme la ministre du logement et de la rénovation urbaine sur le chiffre alarmant des 284 entreprises spécialisées dans la construction de maisons individuelles ayant dû faire face à une procédure collective entre les mois de janvier et mars 2024. La conséquence directe de cette situation est à la fois simple et terrible : les clients des constructeurs ne reçoivent pas la livraison de leur maison neuve du fait de l'arrêt des chantiers et se retrouvent complètement démunis.
Les constructeurs font face à une dégringolade des maisons neuves, notamment à cause de l'augmentation des taux d'intérêt ces trois dernières années, excluant de facto certains ménages désolvabilisés de l'accès à la propriété. Ces défaillances en cascade génèrent une difficulté importante pour les constructeurs émanant d'une obligation légale : trouver un assureur qui accepte de garantir les chantiers.
En effet, à peine de nullité du contrat de construction de maison individuelle, l'article L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation dispose que : « En cas de défaillance du constructeur, le garant prend à sa charge : a) Le coût des dépassements du prix convenu dès lors qu'ils sont nécessaires à l'achèvement de la construction, la garantie apportée à ce titre pouvant être assortie d'une franchise n'excédant pas 5 % du prix convenu ; b) Les conséquences du fait du constructeur ayant abouti à un paiement anticipé ou à un supplément de prix ; c) Les pénalités forfaitaires prévues au contrat en cas de retard de livraison excédant trente jours, le montant et le seuil minimum de ces pénalités étant fixés par décret.
La garantie est constituée par une caution solidaire donnée par un établissement de crédit, une société de financement ou une entreprise d'assurance agréés à cet effet ». Cette garantie s'active en cas de défaillance du constructeur qui ne pourrait poursuivre son chantier pour des raisons économiques.
Dans ce cas, le garant s'engage à terminer le chantier entamé : soit par lui-même, soit par l'intermédiaire d'une autre entreprise engagée à ce dessein. Or, aujourd'hui, la fragilité des constructeurs, qui ont pour certains perdu la moitié de leur chiffre d'affaires, a de quoi inquiéter ces garants.
Et si ces derniers refusent d'accorder leur garantie, jugeant le risque de défaillance financière trop élevé, alors l'entreprise ne peut tout simplement plus démarrer un seul nouveau chantier. Cette obligation légale dont l'intérêt initial est évidemment de protéger le consommateur, semble aujourd'hui compromettre l'accès à la propriété de nombreux ménages.
Par conséquent, il lui demande quelles solutions elle entend mettre en oeuvre pour remédier à cette situation.
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, auteur de la question n° 094, adressée à Mme la ministre du logement et de la rénovation urbaine.
M. Jean Hingray. Madame la ministre, entre janvier et mars 2024, pas moins de 284 entreprises spécialisées dans la construction de maisons individuelles ont décidé de faire la danse de la faillite.
Hélas ! ce véritable ballet de faillites ne se déroule pas sur une scène de théâtre, mais bien dans nos communes !
De futurs propriétaires, armés de rêves et de plans, se retrouvent face à un grand vide, comme des marins perdus en mer, scrutant désespérément l'horizon dans l'espoir d'y apercevoir un phare.
Les chantiers sont à l'arrêt, les maisons dans les cartons. Et pendant que les constructeurs voient leurs commandes s'évaporer la faute à des taux d'intérêt qui jouent les trouble-fête , nos concitoyens se voient exclus de la fête de l'accession à la propriété. C'est comme dans un bal où seuls les plus riches sont invités, tandis que les autres regardent par la fenêtre, l'air désemparé.
Et que dire de cette obligation légale de trouver un assureur ? Avec la fragilité des constructeurs, ces garants jugent le risque trop élevé et ferment la porte au nez des chantiers.
Résultat, les nouvelles constructions restent bloquées comme un vieux moteur qu'on ne pourrait redémarrer.
Ainsi, se crée un cercle vicieux, où chaque tentative entraîne davantage de difficultés : moins d'acheteurs, moins de chantiers, moins de garanties, et hop, on tourne en rond !
Permettez-moi, madame la ministre, de conclure par une touche de poésie. Aragon disait : « Je réclame le droit de rêver au tournant. » Eh bien, adaptons cette demande à notre réalité : « Je réclame le droit de rêver en construisant une jolie maison dans notre bourgade, le droit de m'émouvoir de son charme scintillant sans craindre une dérobade ! »
Madame la ministre, il est grand temps de redonner le droit de rêver aux Français, et cela commence par débloquer la situation. Que comptez-vous faire pour y parvenir ? (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine. Monsieur le sénateur Hingray, la garantie obligatoire que vous évoquez assure au ménage, en cas de défaillance du constructeur, la livraison de sa maison à coûts et délais garantis.
Pour les entreprises de la construction, il s'agit d'une difficulté supplémentaire dans un contexte général indéniablement déjà très tendu, qui conduit certaines d'entre elles, en effet, à des situations irrémédiables.
S'il paraît délicat de revenir sur l'assurance liée au contrat de construction de maison individuelle nous ne saurions faire l'économie de cette protection des acquéreurs sans risquer de les plonger dans la précarité , rien ne nous empêche de travailler à la simplification des démarches et des contrats. Ces derniers doivent être moins rigides, pour être mieux assurables.
C'est une question qui nous préoccupe ; nous nous sommes engagés et avons déjà commencé à travailler sur ce dossier.
Alors que le budget du logement sera prochainement élaboré au travers du débat parlementaire, le Premier ministre a déjà annoncé une piste de progrès, en proposant l'élargissement du prêt à taux zéro. Cette mesure, qui favorise l'investissement et la primo-accession à un logement neuf individuel ou collectif, est une première étape dans la dynamique d'accompagnement des entreprises et des ménages sur l'ensemble du territoire.
Nous comptons sur le Sénat pour coconstruire avec le Gouvernement des solutions complémentaires, notamment en matière de soutien des investisseurs privés, par exemple pour prendre le relais du dispositif Pinel ou pour accompagner les bailleurs sociaux dans la production de logements.
Tous ces éléments, ajoutés à la baisse du taux du livret A et à celle des taux de crédit, sont des leviers à activer pour relancer la dynamique des constructions et sortir de cette période difficile.
Les solutions existent. Nous nous battrons pour les trouver et pour les mettre en oeuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.
M. Jean Hingray. Je vous remercie, madame la ministre, chère Valérie Létard. Vous êtes une spécialiste de ces questions et votre nomination à ce poste n'a rien d'étonnant. Vous pouvez compter sur l'implication du groupe Union Centriste du Sénat pour soutenir votre action.
L'élargissement du prêt à taux zéro est une très bonne nouvelle. Cette mesure protège les personnes les plus précaires, notamment, en leur permettant de faire construire. Elle fera aussi vivre nos territoires, particulièrement ruraux, auxquels nous tenons particulièrement.