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Situation à Haïti

Question écrite de M. Jean-Luc Mélenchon - Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

Question de M. Jean-Luc Mélenchon,

Diffusée le 8 mars 2021

M. Jean-Luc Mélenchon attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la situation à Haïti. Depuis plus de deux ans le peuple haïtien est en lutte pour ses droits. Il s'agit d'une révolution citoyenne. La dérive autoritaire du président Jovenel Moïse est dénoncée par l'opposition politique, les syndicats, les mouvements de femmes, les organisations de droits humains, la conférence épiscopale et les organisations étudiantes et paysannes.

Il est unanimement décrié comme corrompu, auteur avec d'autres dirigeants de détournements massifs de fonds publics ou d'emprunts internationaux, et allié aux gangs d'anciens policiers ou militaires se payant sur le dos du peuple et semant la terreur dans le pays. Les exécutions sommaires perpétrées par les gangs et autres massacres comme celui de 71 personnes en 2018 dans le quartier populaire de Saline, sont devenues la réponse habituelle du pouvoir à la colère populaire.

La situation s'est encore tendue le 7 février 2021, date d'échéance du mandat de Jovenel Moïse selon l'opposition. La cour suprême du pays lui a donné raison. Une grève générale massivement suivie a donc été organisée à cette date par une trentaine de syndicats. Les grévistes dénonçaient l'abus de pouvoir d'un président qui estime envers et contre tous dans son pays que son mandat n'est pas arrivé à échéance.

Contrairement à ce que dit la constitution en vigueur, il estime que ce dernier a débuté le jour de son intronisation et non celui de son élection. Mais il a appliqué une règle différente à la durée du mandat des parlementaires et gouverne par décret depuis un an. Son acharnement à rester en place mène donc Haïti au bord de l'explosion.

Au lieu de dialoguer, il prétend, sans convaincre personne, être victime d'une tentative de coup d'État. Il a donc fait arrêter un haut gradé de la police et un magistrat de la cour suprême et leurs « complices ». L'opposition appelle elle à une présidence ce transition dévolue au juge de la cour de cassation Joseph Mécène Jean-Louis.

Sa feuille de route serait l'organisation d'élections sérieuses et l'élaboration d'une nouvelle constitution dans un délai de deux ans. Moïse Jovenel promet de son côté de nouvelles élections présidentielles en octobre 2021 et une réforme constitutionnelle. Mais comment de telles consultations pourraient-elles être libres et démocratiques dans un climat de violence où les gangs sévissent et contrôlent nombre de quartiers de la capitale, et alors que la majorité de la population s'y oppose ? Ces élections sans possibilité pour les haïtiens d'exercer eu quotidien leurs droits civiques pourraient-elles être autre chose qu'un enregistrement formel de la préservation par Jovenel Moïse de son pouvoir ? Plus personne, hormis ses clientèles, ne croit le président à Haïti.

Aujourd'hui, la seule source de légitimité à laquelle s'accroche Jovenel Moïse est la « communauté internationale ». Du bout des lèvres les Nations unies semblent avoir validé le calendrier proposé par le pouvoir sous la pression des États-Unis, soutiens de longue date du président. Ce manque de prise en compte des réalités concrètes a été ressentie comme une claque.

Il est pourtant crucial, en Haïti comme ailleurs, que les Nations unies ne soient pas décrédibilisées. Car, en dépit de tous ses défauts l'ONU est la seule organisation universelle garante de la sécurité collective de l'humanité. Sa crédibilité suppose ici de comprendre une situation locale décrite comme un cauchemar par la grande majorité des haïtiens.

C'est ce qu'ont déjà fait plusieurs organisations internationales, comme Via Campesina, la Confédération syndicale internationale, et une centaine d'autres réunies dans la campagne Stop silence Haïti. La France a une dette historique envers ce pays martyr et ce peuple frère. Malgré ses souffrances, le peuple haïtien a trouvé la force de fournir d'immenses intellectuels qui font honneur à la francophonie dans le monde entier.

La France ne peut rester silencieuse face à une telle situation. Il lui demande de qu'il compte faire, au sein des Nations unies et dans le cadre de la relation bilatérale avec Haïti, pour aider à éviter l'explosion à laquelle ce pays est condamné si le président Moïse s'enferre dans son entêtement.

Réponse - Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

Diffusée le 28 juin 2021

La France est préoccupée par la situation en Haïti qui s'est fortement dégradée depuis plus de deux ans. Faute d'élections en 2020, le Parlement ne siège plus depuis plus d'un an. Les autorités haïtiennes gouvernent par décret et certains de ces décrets sont source d'inquiétude, notamment ceux créant l'Agence nationale d'intelligence.

Le renvoi récent de deux juges, inamovibles selon la Constitution, n'est pas acceptable. La date d'échéance du mandat du Président Moïse divise aussi profondément la classe politique et en l'absence de Conseil constitutionnel, aucune instance n'est en mesure de trancher ce différend. En matière de sécurité, de lutte contre l'impunité et de respect des droits de l'homme, les autorités doivent faire davantage.

La Police nationale d'Haïti devrait se voir accorder la priorité, notamment budgétaire. Les responsables de crimes, en particulier les massacres de La Saline et Bel Air, doivent être traduits en justice et la pratique des enlèvements par les gangs doit cesser. Par ailleurs, l'enquête sur l'assassinat du bâtonnier de Port-au-Prince, Monferrier Dorval, ne progresse pas.

La situation est très détériorée et n'est pas tenable. Sortir de cette situation requerra un effort considérable de la part des acteurs politiques haïtiens, de la société civile, mais également de la communauté internationale, qui fait preuve de solidarité à l'égard d'Haïti depuis plusieurs décennies.

Quelques récents développements permettent de tracer les contours d'une solution politique. Des élections ont été annoncées cet automne ; c'est un pas dans la bonne direction. Encore faut-il que ces scrutins contribuent à une sortie de crise et ne rajoutent pas à la confusion actuelle. Plusieurs conditions doivent être remplies afin que ces scrutins permettent à Haïti de retrouver le chemin de la stabilité : les conditions minimales de sécurité doivent être garanties, les autorités doivent accélérer la distribution des cartes d'identification nationale afin de garantir la plus large participation électorale possible et un juge électoral, impartial et accepté par le gouvernement et l'opposition, doit être établi, de manière à ce que les résultats soient acceptés par tous.

Cette feuille de route est désormais aussi celle de la communauté internationale. La France a œuvré de manière décisive à l'adoption, le 24 mars, d'une déclaration du Conseil de sécurité, la première depuis quatre ans, qui fixe à chacun les grandes orientations à suivre. Ce texte rappelle la responsabilité première des autorités face à la dégradation de la situation et les exhorte à agir contre la violence des groupes criminels.

Cette déclaration insiste sur l'importance de la tenue, à l'automne 2021, d'élections législatives et présidentielles honnêtes, justes et transparentes, pour permettre au peuple haïtien de choisir librement ses représentants. Il incombe au Bureau intégré des Nations unies en Haïti, ainsi qu'aux principaux partenaires, d'accompagner les Haïtiens dans cette voie.

La communauté internationale réunie au sein du Core group, dont la France fait partie, travaille en ce moment même à la mise en œuvre de ce texte important, qui marque, sur la question haïtienne, un véritable réinvestissement international. Au sein de l'Union européenne et de l'Organisation internationale de la Francophonie, la France s'est également attachée à promouvoir une sortie de crise pacifique et démocratique, fondée sur des élections justes et fiables et sur le rétablissement des instances de contrôle et de bonne gouvernance, dont le fonctionnement a été, lui aussi, détérioré ces dernières années.

S'agissant du projet de révision constitutionnelle, il n'appartient pas à la France de se prononcer sur un processus constituant qui est l'expression suprême de la volonté du peuple haïtien. Nous souhaitons cependant que les forces vives du pays puissent être en mesure de débattre d'un texte qui engage profondément leur avenir et, surtout, que ce projet n'aboutisse pas à retarder encore davantage le déroulement des scrutins législatifs, puis de l'élection présidentielle.

Seules ces élections permettront un transfert ordonné du pouvoir à une nouvelle équipe dirigeante dès 2022. Le caractère multidimensionnel de la crise en Haïti rend sa résolution particulièrement complexe. La crédibilité des institutions est profondément ébranlée en Haïti, en particulier par les affaires de corruption qui ruinent la confiance de la population envers ses élites.

Par ailleurs, la population haïtienne, qui vit en majorité dans la pauvreté, est menacée par la crise pandémique qui frappe durement la région des Caraïbes. C'est pourquoi la France continue d'apporter son aide à la population haïtienne, que ce soit au plan humanitaire (2 millions d'euros en 2021 dont 1,5 d'aide alimentaire) ou au plan du développement (environ 25 millions d'euros en dons par an, sans compter notre contribution aux fonds multilatéraux européens).

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